Retour dans la jungle à Jonestown, 44 ans après le massacre
"Bienvenue au Temple du Peuple". Peint en vert, un panneau en pleine jungle à quelques kilomètres de Port Kaituma, village perdu du nord-ouest du Guyana, indique l'entrée d'une piste en terre rouge menant à Jonestown, théâtre du massacre du même nom, souvent qualifié de plus grand suicide collectif de l'histoire, le 18 novembre 1978.
Plus 900 de personnes, la plupart des adeptes du gourou-révérend américain Jim Jones, ont péri ici, certains de leur plein gré, certains emportés par l'élan collectif ou forcés par les responsables du mouvement. Le monde découvrait alors avec horreur la puissance de l'aliénation mentale pouvant être engendrée par les sectes.
Aujourd'hui, "il n'y a plus grand-chose à voir à moins qu'on défriche la zone", explique Fitz Duke, qui avait 31 ans à l'époque, en visitant le site avec l'AFP. Il assure avoir été témoin de certains événements, sans avoir assisté au massacre.
Seule une petite stèle blanche près d'une paillote récente témoigne du drame qui s'est joué ici. L'étrange panneau à l'entrée de la piste est postérieur aux événements, souligne. M. Duke, qui indique qu'en fouillant la jungle on pourrait retrouver des restes de tracteurs, camions et sans doute des fondations de maison.
Il y a 50 ans, Jim Jones, charismatique pasteur illuminé, assurant accomplir des miracles et oscillant entre le communisme et le fondamentalisme protestant, avait déménagé sa secte au Guyana où il avait acquis près de 1.500 hectares de terres au milieu de nulle part.
Alors respecté notamment en raison de sa défense de l'égalité raciale mais aussi de quelques connexions politiques, il avait réussi à obtenir un régime spécial pour son organisation au Guyana, pays très pauvre.
Avec beaucoup de travail et d'argent, les adeptes défrichent la jungle et mettent en place des cultures: "Ils avaient un très bon système agricole. On (les habitants de Port Kaituma) venait voir ce qu'ils faisaient. Beaucoup de gens travaillaient pour eux. Ils avaient de l'élevage, de la volaille, des cochons, des vaches. Il étaient presque autosuffisants", se souvient M. Duke.
"On y allait souvent, ils avaient un bon orchestre avec beaucoup d'instruments", ajoute-t-il.
Mais le camp, qui veut donner l'image d'un petit paradis sur terre, est géré d'une main de fer par Jim Jones et ses adjoints.
- "Laver le cerveau"
"Tu ne pouvais pas te déplacer librement. Si un local rencontrait un +junior+ (de la secte), très rapidement un +senior+ arrivait et disait: +Je m'en occupe+ et le junior devait quitter les lieux. Tu n'avais affaire qu'aux seniors", explique Fitz Duke, qui raconte une autre anecdote.
"Il y avait une grande tour qui permettait de surveiller la route principale. Il y avait toujours des hommes avec des jumelles", dit-il.
"Les voitures étaient fouillées. Une fois, je me souviens, une voiture de police est arrivée. Ils ont dit +On est de la police. On entre+. Les autres ont répondu: +Non. On n'a pas le temps avec la police. Ici c'est Jonestown. Vous n'avez rien à faire ici+. Ils avaient plus d'armes que la police. Ce n'était plus le Guyana, c'était Jonestown".
Aux Etats-Unis, les conditions de vie, les restrictions et l'ambiance autour de la secte inquiètent de nombreux proches qui saisissent les autorités. Elu de la Chambre des représentants, Leo Ryan se rend à Jonestown en novembre 1978 pour enquêter. Il va, malgré lui, déclencher le drame qui couvait.
Accompagné de journalistes, il interroge les adeptes et vraisemblablement comprend ce qui se passe. Certains veulent revenir aux Etats-Unis avec lui.
Jim Jones, qui a fait semblant de jouer la transparence, ne l'entend pas de cette oreille, craignant que la vérité découverte par Leo Ryan ne sonne le glas de son domaine.
Le lendemain, le 18 novembre 1978, avant que Leo Ryan, qui a même été poignardé en quittant le camp, et sa délégation aient pu embarquer dans l'avion à Port Kaituma, des hommes de Jones les abattent.
Il n'y a plus de retour en arrière possible: Jones, qui a préparé ses adeptes depuis des semaines, lance alors le suicide collectif avec l'ingurgitation volontaire ou forcée de poison.
"C'est encore un mystère sur comment un seul homme a pu laver le cerveau de centaines de personnes comme ça", s'interroge M. Duke, qui aimerait tourner la page.
- Oublier ou se souvenir? -
"Cela a fait beaucoup de mal au pays. Ca nous a mis sur la carte du monde (...) pour de mauvaises raisons. Tant de vies perdues... On devrait oublier tout ça. Donner la terre à des fermiers (...) sinon ça va encore perdurer", estime-t-il.
Les autorités locales n'ont pas souhaité répondre aux sollicitations de l'AFP, mais Tiffnie Daniels, 31 ans, élue de l'opposition de Port Kaituma, estime qu'il faudrait faire de Jonestown un endroit de "mémoire", un musée ou un site touristique qui soit pédagogique.
"Pour le moment, il n'y a rien. Juste un monument et la jungle. Mais si les enfants veulent faire des sujets ou visiter, il n'y a rien. S'il y avait des choses qui puissent aider à comprendre ce qui s'est passé, comment des choses comme ça peuvent arriver, ce serait utile", dit-elle.
"Ce sont des mauvais souvenirs, d'accord", conclut-elle, "mais c'est aussi de l'histoire".
N.Tartaglione--PV