En Espagne, une bataille autour de l'avortement ouvre l'année électorale
Une offensive du parti d'extrême droite Vox sur l'avortement, directement inspirée de la Hongrie de Viktor Orban, a mis la droite espagnole dans l'embarras et donne des arguments au gouvernement de gauche pour mobiliser en cette année électorale.
Le numéro deux de la région de Castille-et-León (centre), Juan García-Gallardo, a provoqué une intense polémique en annonçant la semaine dernière que les médecins de la région allaient devoir proposer aux femmes souhaitant avorter d'"écouter les battements de coeur de leur enfant" et de voir "une vidéo" du foetus.
Une mesure destinée à "favoriser la natalité et soutenir les familles", a affirmé ce membre de Vox, troisième force politique du pays ouvertement opposée à l'avortement.
Cette proposition est calquée sur une pratique dans la Hongrie de Viktor Orban - grand allié du parti espagnol d'extrême droite - où depuis septembre les femmes enceintes souhaitant avorter doivent au préalable être confrontées aux "fonctions vitales" du foetus.
En Espagne, l'avortement a été dépénalisé en 1985 puis légalisé en 2010. Les femmes peuvent y avorter librement jusqu'à la quatorzième semaine de grossesse et avoir ensuite recours à l'IVG sous certaines conditions.
Mais ce droit reste semé d'embûches, selon le gouvernement de Pedro Sanchez, qui va bientôt faire adopter par le Parlement une loi prévoyant de renforcer l'accès à l'IVG dans les hôpitaux publics où nombre de médecins font valoir leur droit à l'objection de conscience.
- "Propagande" -
Dirigée par les conservateurs du Parti Populaire (PP), avec Vox comme allié minoritaire, la Castille-et-León est suivie de près par les observateurs alors que les sondages donnent en effet le PP vainqueur des élections nationales prévues fin 2023 mais dépendant du parti d'extrême droite pour obtenir une majorité et gouverner.
A gauche, le socialiste Pedro Sanchez s'est emparé du sujet pour tenter de mobiliser un électorat modéré potentiellement effrayé par l'offensive idéologique de Vox.
Dans une allusion à peine voilée à la Castille-et-León, première région espagnole à compter l'extrême droite dans son exécutif depuis la fin de la dictature franquiste, il a mis en garde mardi à Davos sur le danger que l’extrême droite arrive au pouvoir en Europe dans le cadre d'alliances avec la droite conservatrice.
"Nous devons éviter que ces forces politiques ne rentrent dans les institutions (...) car la menace est réelle, tout particulièrement dans les pays où les forces d'extrême droite ont le soutien de partis conservateurs traditionnels qui leur ouvrent les portes" du pouvoir, a-t-il affirmé.
"Nous les combattrons avec la même détermination et la même conviction que celle des Ukrainiens face aux forces russes", a promis le Premier ministre espagnol, selon qui ces formations servent de relais d'influence à Vladimir Poutine.
- Malaise -
Dans l'embarras, le PP a tenté de se démarquer de Vox en assurant que la proposition de son allié ne s'appliquerait pas et qu'elle n'avait pas été transmise aux médecins de la région. Par la voix du porte-parole du gouvernement régional de Castille-et-León, Carlos Fernández Carriedo, il a accusé Pedro Sanchez de "surjouer et de faire de la propagande".
"Aucune pression ne sera mise sur une femme souhaitant interrompre volontairement sa grossesse, comme le prévoit la loi. Que cela soit en Castille-et-León ou dans tout autre endroit où le PP gouverne", a assuré mardi le dirigeant du parti, Alberto Núñez Feijóo, sur la chaîne Telemadrid.
Arrivé l'an dernier à la tête du PP avec une image de modéré, ce dernier n'a pas caché son malaise vis-à-vis de Vox, qui "se trompe profondément" en lançant une polémique qui bénéficie "très clairement" au gouvernement Sanchez.
Le sujet a en effet éclipsé d'autres controverses touchant le gouvernement de gauche comme les effets pervers d'une loi destinée à durcir l'arsenal contre les viols qui a entraîné des libérations d'agresseurs.
Pour Antonio Barroso, analyste du cabinet de conseil Teneo, en imprimant sa marque dans le débat idéologique, Vox "essaie d'ouvrir une brèche au sein du PP en lançant des initiatives pouvant éloigner le parti du centre".
Une situation pouvant profiter à Pedro Sanchez "pour mobiliser l'électorat de gauche en surfant sur ses craintes d'un gouvernement PP-Vox", ajoute-t-il.
H.Ercolani--PV