Aux Etats-Unis, la mort de Tyre Nichols rappelle l'arrestation violente de Rodney King
Le 3 mars 1991, Rodney King, un automobiliste noir, était roué de coups par des policiers à Los Angeles, et ce n'est que grâce à la présence d'esprit d'un passant filmant la scène que les agents finissent devant la justice.
Il survit, mais un an plus tard, l'acquittement des accusés embrase la ville californienne, et des émeutes font des dizaines de morts ainsi qu'un milliard de dollars de dégâts matériels.
Vendredi, l'Amérique a été de nouveau confrontée au choc de la publication d'une vidéo de violences policières. Elle montre le passage à tabac du jeune afro-américain Tyre Nichols par cinq policiers noirs, début janvier à Memphis.
Il était décédé trois jours après.
Cette fois, les agents ont été rapidement licenciés et inculpés, avant que les images du drame ne soient dévoilées, à la différence de Rodney King.
Dans les deux cas, c'est grâce à l'existence de preuves visuelles que ces violences ont été médiatisées, souligne Jack Glaser, chercheur à l'université de Californie à Berkeley et spécialiste des préjugés raciaux dans le domaine du maintien de l'ordre.
"Avant Rodney King, peu de personnes avaient des caméras, et c'est le fait que quelqu'un en ait eu une, et ait pu filmer ça, qui lui a donné une visibilité à l'échelle du pays", dit-il à l'AFP.
Cette visibilité a explosé avec la généralisation des smartphones et des caméras piétons imposées aux policiers, souligne-t-il.
- Sanctions rapides -
En l'absence de ces images, difficile de faire rendre des comptes aux agents concernés par ces violences. "Sans cela, il y a souvent beaucoup d'obstruction et de mobilisation des syndicats policiers pour protéger les emplois", reprend Jack Glaser.
C'est d'ailleurs l'existence de ces preuves qui a poussé les autorités de Memphis à sévir relativement vite contre les policiers incriminés, estime Patrick Oliver, un ancien commissaire de Cleveland (Ohio, nord) désormais à la tête du programme justice pénale à l'université de Cedarville.
Une telle rapidité est "extrêmement rare", dit-il à l'AFP.
Pour lui, cela indique que "la police de Memphis considère avoir des preuves suffisantes pour justifier leurs sanctions administratives".
La décision de publier si vite les images est stratégique, affirme Patrick Oliver.
"Les gens scandalisés à juste titre sauront ainsi que les services de police ont agi contre ces cinq agents, et que le procureur a déjà engagé des poursuites pénales."
- "Partie émergée" -
Pour la fille de Rodney King, Lora Dene King, la mort de Tyre Nichols s'inscrit dans une longue lignée de violences policières, de son père en 1991 à George Floyd, tué en 2020 par un policier blanc.
"Ça ne sera qu'un autre hashtag et on poursuivra nos vies, avant que ça ne se produise à nouveau", a-t-elle fulminé sur la chaîne de télévision NBC.
Pour Jack Glaser, la société prend conscience que les violences policières touchent les hommes noirs de façon disproportionnée, et la hiérarchie policière réalise que les actes de leurs agents seront scrutés.
Des drames comme la mort de Tyre Nichols, qui font les gros titres, ne sont toutefois que "la partie émergée de l'iceberg", visible uniquement en raison du degré de violence et de leur documentation en images, estime-t-il.
"Mais il y a beaucoup, beaucoup plus d'occurrences d'emploi de la force excessif bien que non-létal."
A.Rispoli--PV