Médicaments: une sanction record pour Novartis et Roche annulée en appel
La justice française a annulé en appel une sanction record de près de 450 millions d'euros prononcée contre les laboratoires suisses Novartis et Roche par l'Autorité de la concurrence, décision qui avait secoué le secteur pharmaceutique en 2020.
Les deux laboratoires avaient été sanctionnés par l'Autorité de la concurrence pour des "pratiques abusives" visant à préserver les ventes d'un médicament largement prescrit en ophtalmologie, au détriment d'un autre trente fois moins cher. Un troisième laboratoire, l'américain Genentech, racheté en 2009 par Roche, avait aussi été sanctionné pour ces pratiques.
Le Lucentis, médicament développé par Genentech et commercialisé hors des Etats-Unis par Novartis, est utilisé pour traiter la dégénérescence maculaire (DMLA), principale cause de malvoyance chez les plus de cinquante ans dans les pays industrialisés.
Mais le corps médical s'était rendu compte qu'un autre médicament de Genentech, l'anticancéreux Avastin, avait des effets positifs sur la DMLA. Les médecins s'étaient alors mis à le prescrire même si ce dernier n'avait pas d'autorisation de mise sur le marché spécifique pour cette maladie (l'AMM délivrée par les autorités de santé à la demande des laboratoires).
Or, les prix des deux médicaments sont très éloignés: l'Avastin - commercialisé par le suisse Roche hors des Etats-Unis - a un coût 30 fois moins élevé que le Lucentis.
L'Autorité de la concurrence avait estimé en 2020 que pour préserver leurs intérêts, les trois laboratoires s'étaient entendus pour dénigrer l'usage de l'Avastin en ophtalmologie, aussi bien auprès des professionnels de santé que des pouvoirs publics.
- Pas de communication "trompeuse" -
Novartis, auquel elle reprochait d'avoir mené une campagne de communication pour jeter le discrédit sur l'utilisation d'Avastin en ophtalmologie entre 2008 et 2013, avait récolté la plus forte sanction, 385 millions d'euros.
Roche et Genentech avaient écopé conjointement d'une sanction de plus de 59 millions d'euros. Le gendarme de la concurrence avait notamment fait valoir que Roche, qui commercialisait l'Avastin en France, avait refusé durant des mois de fournir des échantillons de ce médicament à l'Autorité nationale de sécurité du médicament (ANSM), retardant la mise en place d'une étude visant à examiner son utilisation face à celle de Lucentis.
A rebours de l'Autorité de la Concurrence, la cour d'appel de Paris a considéré qu'à compter de 2011 et l'entrée en vigueur d'une nouvelle législation, l'Avastin devait être considéré comme hors marché pour le traitement de la DMLA, à partir du moment où il n'avait pas d'autorisation de mise sur le marché pour cette pathologie.
La justice en a déduit "qu'aucun comportement d'éviction" ne pouvait être reproché sur une période où l'Avastin et le Lucentis "ne pouvaient se faire valablement concurrence".
Par ailleurs, elle a estimé que la communication du groupe Novartis, pendant la période retenue, avait été "mesurée dans son ton" et n'avait pas été dénigrante, et que celle des groupes Novartis et Roche "n'avait pas été alarmiste voire trompeuse".
Enfin, elle a considéré que le comportement de blocage par Roche, qui avait refusé de fournir des échantillons d'Avastin demandés par les autorités de santé pour lancer une étude scientifique, n'avait pas pu avoir d'effet anticoncurrentiel.
Contacté par l'AFP, le laboratoire Novartis s'est dit satisfait de la décision de la cour d'appel, estimant que des "mesures encourageant" l'utilisation et le remboursement d'un traitement médical en dehors de son autorisation de marché représentent "une menace" pour le système de régulation des médicaments. De son côté, Roche n'avait pas encore réagi à la mi-journée.
S.Urciuoli--PV