Pour le magnat Murdoch et Fox News, le camp Trump était "fou" d'hurler à la présidentielle volée en 2020
"Fou", "irresponsable", "menteurs": de la présidentielle américaine du 7 novembre 2020 à l'attaque du Capitole du 6 janvier 2021, le magnat des médias conservateurs Rupert Murdoch et sa chaîne Fox News ont dénoncé, mais uniquement en privé, les affirmations de Donald Trump d'une élection volée par Joe Biden.
Cela fait déjà quelques années que la lune de miel est terminée entre les trumpistes et Fox News, très prisée des conservateurs et de la droite aux Etats-Unis. La chaîne est la pépite de l'empire News Corporation du milliardaire australo-américain de 91 ans, Rupert Murdoch.
Mais une plainte de mars 2021 pour diffamation contre Fox News, intentée par un fabricant de machines électroniques de vote, Dominion Voting Systems, vient éclairer avec force détails et témoignages la relation Trump-Murdoch qui a tourné au vinaigre dès le scrutin présidentiel du 7 novembre 2020.
- Le camp Trump moqué -
Selon ce document judiciaire de 192 pages rendu public dans la nuit de jeudi à vendredi par la justice de l'Etat du Delaware (nord-est), Rupert Murdoch, des dirigeants et des animateurs vedettes de Fox News ont, dès la défaite de Trump, critiqué, moqué, voire injurié le camp du républicain battu.
Mais ils ne l'ont fait qu'en privé. Pendant qu'à l'antenne de Fox News, les mensonges et assertions contestant l'élection du démocrate Joe Biden faisaient florès.
Ces révélations sont tirées du gros dossier de la plainte en diffamation déposée en mars 2021, complétée en janvier 2022 et pour laquelle Dominion réclame 1,6 milliard de dollars de dédommagement.
Ce fabricant s'estime diffamé par Fox News qui affirmait que ses machines électroniques de vote avaient servi à fausser les résultats en plusieurs endroits des Etats-Unis et même, par le passé, au Venezuela, en faveur du président aujourd'hui décédé Hugo Chavez.
Mais lorsque des conseillers de Donald Trump -- Rudy Giuliani et Sidney Powell -- dénoncèrent une prétendue fraude à grande échelle, Rupert Murdoch écrivit aussitôt à la patronne de Fox News Media, Suzanne Scott.
Dans ce courriel intitulé "En train de regarder Giuliani!", Rupert Murdoch qualifie l'intervention des trumpistes de "truc vraiment fou. Et dommageable", selon la plainte judiciaire. Le fondateur de News Corporation écrit encore: "un truc terrible, préjudiciable à tout le monde, j'en ai peur".
Des échanges par textos en novembre 2020 entre présentateurs et producteurs de Fox sont tout aussi éloquents.
- Trump "démoniaque" -
L'animateur Tucker Carlson confie ainsi à sa collègue Laura Ingraham que la conseillère trumpiste "Sidney Powell est une menteuse".
"Je l'ai prise en flagrant délit, c'est insensé", écrit-il. Laura Ingraham lui répond que "Sidney est complètement dingue" et que "personne ne travaillera (plus) avec elle".
Le producteur Justin Wells écrit aussi le 19 novembre 2020 à l'animateur Carlson que les conseillers de Trump "Sidney Powell et Rudy (Giuliani) sont des putains de menteurs", dénonçant un comportement "désespéré et dérangé" pour prétendre que l'élection a été volée.
La relation entre Fox News et Trump se dégrade encore le 6 janvier 2021, jour où des partisans du président battu prennent d'assaut le Capitole, siège du Congrès à Washington: Trump est "une force démoniaque, un destructeur. Mais il ne nous détruira pas", lance dans un SMS Tucker Carlson à un autre producteur, Alex Pfeiffer.
Ce jour-là, Donald Trump, encore à la Maison Blanche pour 15 jours, tente d'appeler l'émission du très droitier Lou Dobbs pour intervenir en direct. Mais la chaîne le refuse, car "il aurait été irresponsable de le prendre en ligne", affirme la présidente de Fox Business Network, Lauren Petterson, citée par la plainte de Dominion.
- "Fiasco" -
En novembre dernier, d'autres médias de News Corporation, Wall Street Journal et New York Post, ont étrillé Trump, responsable du "fiasco" des républicains aux législatives de mi-mandat.
Vendredi, une porte-parole de Fox News a accusé Dominion d'avoir "choisi et sorti des citations (de sa plainte) de leur contexte".
"Dominion va faire beaucoup de bruit et créer de la confusion (...) mais le coeur de l'affaire reste la liberté de la presse et d'expression, des droits fondamentaux conférés par la Constitution", a-t-elle défendu dans un courriel à l'AFP.
De fait, les actions en diffamation sont limitées aux Etats-Unis par la sacro-sainte liberté d'expression protégée par le premier amendement de la Constitution et les conflits se terminent le plus souvent par un accord à l'amiable. Même si cette affaire risque d'entacher la réputation et les comptes de Fox, l'un des cinq réseaux télévisuels nationaux avec CNN, NBC, ABC et CBS.
F.Amato--PV