Autrefois banni, le tatouage d'Okinawa redécouvert par les jeunes générations
Moeko Heshiki n'est pas une tatoueuse ordinaire: son travail à Okinawa consiste avant tout à créer un lien entre ses clients, descendants du peuple autochtone ryukyu au sud du Japon, et le hajichi, un tatouage traditionnel longtemps interdit.
Mais lorsque l'empire du Japon a annexé les îles d'Okinawa en 1879, entamant un processus d'assimilation forcée de la population locale, le hajichi a quasiment disparu, associé dans l'esprit des Japonais aux tatouages dont étaient marqués les criminels.
"Les gens qui portaient des hajichi se voyaient imposer des amendes et étaient victimes de discrimination", explique Mme Heshiki, 30 ans, selon laquelle ces tatouages traditionnels étaient incompris.
Le hajichi semblait voué à disparaître, même si son interdiction a été levée après la Seconde Guerre mondiale.
Moeko Heshiki, dont le père est originaire d'Okinawa, a grandi sur l'île principale du Japon, au nord de Tokyo. C'est en cherchant des idées de tatouages rappelant ses origines qu'elle a découvert les motifs du hajichi.
"Je mourais d'envie de les avoir sur moi", dit-elle.
Après s'être fait tatouer les mains par un artiste spécialisé dans l'art corporel tribal, elle dit s'être sentie "plus connectée" à ses racines: "J'ai senti que j'étais enfin moi-même".
- "Fiers d'être Okinawaïens" -
Chacun de ses doigts est orné de longues flèches, ce qui signifiait autrefois qu'une femme serait éternellement fidèle à son mari, et d'une série de points, qui étaient considérés comme un sésame pour le paradis.
Moeko Heshiki travaille avec une aiguille plutôt qu'avec la traditionnelle tige de bambou et l'encre à base de charbon de bois et d'awamori, la ligueur traditionnelle d'Okinawa.
Elle dit prendre le temps de discuter avec ses clientes, venues vers elle via le réseau social Instagram, de la signification des motifs, trouvés dans des livres en raison du peu d'exemples "vivants".
L'un des plus célèbres spécialistes du hajichi est le photographe Hiroaki Yamashiro, 73 ans, qui depuis les années 1970 a immortalisé une trentaine de femmes arborant ces tatouages.
Ce natif d'Okinawa dit avoir découvert le hajichi presque par hasard quand il était étudiant et cherchait un sujet à photographier, rencontrant alors une vieille dame "à l'apparence très gracieuse" avec ses tatouages.
Il se souvient en particulier du récit que lui avait fait une Okinawaïenne de 107 ans de sa séance de tatouage.
"Elle m'a raconté à quel point il était douloureux de se faire faire un hajichi", dit-il. A tel point qu'"elle avait dû plonger ses mains dans un seau de résidus de graines de soja utilisées pour fabriquer le tofu, pour les refroidir".
M. Yamashiro a pris sa dernière photographie de hajichi en 1990, mais il pense que cette tradition est un élément clé de l'héritage culturel ryukyu.
"Je veux que les habitants d'Okinawa conservent la culture, la façon de penser et l'identité d'Okinawa, que les jeunes soient encore plus fiers d'être Okinawaïens", dit-il.
Il croit cependant que le hajichi ne doit pas devenir un simple tatouage de mode, car "c'est une culture uniquement pratiquée par les femmes des Ryukyu, quelque chose de complètement différent du tatouage".
R.Zarlengo--PV