Mexique: les Jésuites des Tarahumaras réclament justice
"Beaucoup de personnes arrêtées, mais pas le responsable": les Jésuites du Mexique réclament justice neuf mois après l'assassinat de deux de leurs frères, et renforcent leur présence auprès de la communauté autochtone Raramuri dispersée dans la Sierra Tarahumara.
"Nous étions trois. Et désormais nous allons être cinq", murmure le père Jésus Reyes, qui veille sur la mission de Cerocahui dans l'état du Chihuahua (nord-ouest). "Nous restons ici avec notre peuple, autant les indigènes que les métis".
C'est dans la petite église à côté de son bureau qu'il a été le témoin le 20 juin de l'assassinat de deux autres "sacerdotes" et d'un troisième homme présenté comme un guide touristique. "Je ne sais pas si pour cette personne (le tueur présumé), il y avait une raison, mais pour nous il n'y avait aucune raison" de les tuer, ajoute-t-il.
Sur la place du village, construit sur un plateau au bord de la Barranca (canyon) del cobre, des forces de sécurité patrouillent autour de l'édifice religieux.
Sous un soleil radieux, quelques touristes visitent les lieux de retour de l'ultra-marathon qui a rassemblé plus de 400 coureurs étrangers et mexicains dans les gorges du canyon le week-end dernier.
A l'intérieur du temple, les visiteurs tombent sur les portraits de Javier Campos, 79 ans, et Joaquín Mora, 80 ans. Dans le jardin, deux croix marquent l'emplacement de leur tombe.
"Que d'assassinats au Mexique!", avait réagi le pape François - un Jésuite - en exprimant sa "douleur et sa consternation" après leur mort et celle de Pedro Eliodoro Palma Gutierrez.
Dans le temple, une bénévole qui nettoie le sol se souvient de la présence réconfortante de Javier Campos alias "el gallo" (le coq, qu'il imitait à la perfection).
"J'ai un fils qui a disparu il y a 12 ans. Quand cela s'est passé, le petit père est venu chez moi. Avec ces mots de réconfort, il m'a beaucoup aidé", affirme Cristina Dominguez.
- "Echafaudage de délinquance" -
A trois heures de route de Cerocahui, les Jésuites s'occupent d'une clinique pour la communauté raramuri à Creel, "pueblo magico" (village touristique) et étape du légendaire train Chepe (Chihuahua-Pacifique).
"A part ça, nous avons un bureau des droits de l'homme qu'il me revient de présider", explique le père Javier Avila dans son bureau dont les murs en lambris supportent une impressionnante collection de crucifix taillés à la main.
"Il y a beaucoup de personnes arrêtées. Mais pas le responsable", déplore-t-il au sujet de l'assassinat des deux Jésuites et du guide.
"Parce que pour moi il n'est pas responsable présumé. Il est responsable", ajoute le père, qui dispose d'une escorte de sécurité depuis quelques temps.
Il fait référence au principal suspect, un individu surnommé "El Chueco" âgé d'une trentaine d'années, narco-trafiquant local lié au Cartel de Sinaloa. Le "Chueco" serait également responsable d'un trafic illégal de bois dans la Sierra.
"En arrêtant cet individu, on ne va pas résoudre le conflit. On va commencer à résoudre le conflit quand on commencera à détruire l'échafaudage de délinquance dont l'Etat lui-même a permis la construction", tonne le missionnaire au collier de barbe blanche, qui annonce une réunion avec les autorités le 16 mars.
Au passage, le père Avila se moque d'un vieux slogan du président de la République Andres Manuel Lopez Obrador qui proposait des "accolades, pas des fusillades" avec la délinquance armée: "les embrassades sont dans l'imaginaire du palais du gouvernement. Les fusillades sont ici".
Fin février, les forces de sécurité ont tué "trois sicaires (tueurs à gages) présumés" en repoussant "une agression armée" près de Cerocahui, a indiqué le parquet général de l'Etat de Chihuahua le 21 février, en précisant que deux agents ont été blessés.
Dans la fraîcheur du soir, une sonnerie annonce l'entrée du train en gare de Creel.
Des touristes du troisième âge descendent pour rejoindre des hôtels confortables à 100 dollars la nuit.
Les violences dans la région n'ont pas d'impact sur la fréquentation du train qui va de Chihuahua à Los Mochis sur la côte Pacifique dans l'état du Sinaloa, assure un manager du "Chepe" Emilio Carrazco: "Nous avons fait le plein en décembre et en janvier, qui est la saison basse. Il y a beaucoup d'intérêt pour venir découvrir la Barranca del cobre, qui est quatre fois plus profondes que le canyon du Colorado".
S.Urciuoli--PV