Do Kwon, un "génie" sud-coréen des cryptomonnaies tombé en disgrâce
L'entrepreneur sud-coréen Do Kwon, aujourd'hui sous le coup de poursuites judiciaires après l'effondrement de sa cryptomonnaie Terra, était autrefois perçu comme un génie plein d'audace, auréolé d'une renommée mondiale.
M. Kwon, dont le nom complet est Kwon Do-hyung, a été arrêté jeudi dans un aéroport du Monténégro en possession de documents de voyage falsifiés du Costa Rica.
L'homme de 31 ans est accusé de fraude depuis l'implosion en 2022 de son entreprise Terraform Labs, qui a fait perdre quelque 40 milliards de dollars (37 milliards d'euros) aux investisseurs et a ébranlé les marchés des cryptomonnaies.
Peu après son arrestation, les Etats-Unis ont retenu plusieurs chefs d'inculpation contre Do Kwon pour avoir orchestré une "fraude aux actifs cryptos de plusieurs milliards de dollars". La Corée du Sud, où Do Kwon est recherché, a également dit vouloir le rapatrier.
Terra, sa cryptomonnaie dite stable, reposait en réalité sur un système de Ponzi, selon les experts.
Pas plus tard qu'en mars 2022, M. Kwon avait pourtant été qualifié de "génie" dans d'élogieux articles de médias sud-coréens, alors que des milliers d'investisseurs privés se pressaient pour injecter des fonds dans son entreprise.
"Kwon et son histoire sont un produit de notre époque", estime pour l'AFP Cho Dong-keun, professeur d'économie émérite à l'université Myongji.
"Il savait comment gagner le cœur de ceux qui cherchaient désespérément à faire fortune d'un coup. Il savait aussi comment exploiter leur anxiété et la transformer en immenses profits."
- Liens avec l'élite -
Né en 1991, M. Kwon est élève au lycée des langues étrangères Daewon, prisé de l'élite sud-coréenne. Il étudie ensuite l'informatique à l'université américaine de Stanford et effectue apparemment des stages chez Apple et Microsoft. Il retourne ensuite en Asie pour créer sa propre entreprise.
En 2018, il fonde Terraform Labs avec Daniel Shin - lié par son oncle à la famille contrôlant le géant Samsung - et développe les cryptomonnaies Terra (TerraUSD) et Luna.
Il devient rapidement célèbre, notamment grâce aux relations de M. Shin, s'imposant comme une jeune figure de proue du secteur.
Terra est présentée comme un "stablecoin", un type d'actif crypto dont le cours est généralement adossé à des actifs stables comme le dollar pour éviter des fluctuations de prix trop importantes.
En 2019, il figure parmi les 30 Asiatiques de moins de 30 ans listés par Forbes qui souligne que son "stablecoin a poussé 40 millions (de personnes) à travailler avec l'entreprise à son lancement en janvier 2018" et que "Terra a levé 32 millions de dollars auprès des géants des cryptos comme Binance".
- Parallèle avec Elizabeth Holmes -
Les experts avaient prévenu depuis longtemps que le modèle de M. Kwon était fondamentalement défectueux, certains le qualifiant même de système de Ponzi.
Contrairement à d'autres stablecoins adossés à de véritables actifs comme l'or ou des devises traditionnelles, Terra était algorithmique, liée à sa cryptomonnaie jumelle Luna, au moyen des mathématiques et de mécanismes d'incitation.
"Les stablecoins algorithmiques comme Terra/Luna étaient condamnés dès le départ", estime pour l'AFP Christian Catalini, fondateur du Cryptoeconomics Lab du MIT.
"Les choses peuvent fonctionner un certain moment, pendant que l'écosystème se développe, mais sont vouées à terme à une spirale fatale."
Une enquête approfondie sur M. Kwon doit permettre de préciser les circonstances de l'effondrement de Terra et Luna, soutient-il, jugeant nécessaire d'apporter des améliorations à l'ensemble du secteur des cryptomonnaies.
"Nous devons garantir que les acteurs mal intentionnés ne puissent pas utiliser la technologie pour concevoir des escroqueries et perpétuer d'autres formes de fraude ou de crimes financiers", déclare-t-il.
La spectaculaire ascension de Do Kwon et sa chute vertigineuse sont aujourd'hui comparées aux péripéties d'Elizabeth Holmes, fondatrice de la start-up de tests sanguins Theranos reconnue coupable de fraude en 2022.
Do Kwon "est simplement comme Holmes, un autre membre de l'élite passé par Stanford", pour le quotidien Korea Economic Daily.
Cory Klippsten, patron de l'application d'achat de cryptomonnaie Swan.com, dressait lui aussi le parallèle avec l'Américaine sur Twitter en 2022, soutenant que "des niveaux effrayants d'arrogance (...) signifient une fraude dans 99,99% des cas".
Do Kwon avait quitté la Corée du Sud avant l'effondrement de Terra en mai 2022, réussissant jusque-là à échapper aux autorités sud-coréennes.
Séoul avait finalement annulé son passeport, demandant à Interpol d'émettre une notice rouge à son encontre.
"Un adulte responsable et entrepreneur serait resté et aurait fourni des explications", selon Cho Dong-keun.
"Le fait qu'il ait tenté d'échapper aux autorités en recourant même à de faux passeports témoigne de son caractère."
U.Paccione--PV