Russie: un journaliste américain en détention pour "espionnage"
La Russie a placé jeudi en détention provisoire un journaliste américain du Wall Street Journal qu'elle accuse d'espionnage, un cas sans précédent dans l'histoire récente du pays dans un contexte de répression accrue depuis l'offensive contre l'Ukraine.
L'arrestation d'Evan Gershkovich a été annoncée jeudi par le service fédéral de sécurité russe (FSB) et le Kremlin a affirmé qu'il avait été pris en "flagrant délit", sans étayer ses accusations.
Cette affaire arrive en pleines tensions entre les Etats-Unis et la Russie liées au conflit en Ukraine, et Washington accuse Moscou de détenir plusieurs de ses citoyens pour des motifs politiques.
M. Gershkovich, un reporter parfaitement russophone reconnu pour sa rigueur, a nié les accusations portées contre lui lors d'une audience devant un tribunal de Moscou, selon l'agence de presse étatique russe Tass.
Le journaliste américain, âgé de 31 ans, a néanmoins été placé en détention provisoire jusqu'au 29 mai, a indiqué le tribunal dans un communiqué. Cette détention peut être prolongée dans l'attente d'un éventuel procès.
Selon Tass, l'affaire a été classée "secrète", ce qui limite fortement la publication d'informations à son sujet. L'avocat du journaliste, Daniil Berman, a indiqué qu'il n'avait pas pu assister à l'audience jeudi.
Seuls détails disponibles à ce stade: le FSB a annoncé avoir "déjoué une activité illégale" en arrêtant Evan Gershkovich à Ekaterinbourg, dans l'Oural, à une date non précisée.
Les services de sécurité russes disent le soupçonner d'"espionnage au profit des Etats-Unis", l'accusant notamment d'avoir collecté des informations "sur une entreprise du complexe militaro-industriel" russe.
Selon l'article 276 du code pénal russe, le journaliste risque en théorie jusqu'à 20 ans de prison.
- Avertissement du Kremlin -
Avant de rejoindre le quotidien américain en 2022, M. Gershkovich était un correspondant de l'AFP à Moscou, et avant cela, du journal en langue anglaise Moscow Times. Il est d'origine russe et ses parents résident aux Etats-Unis.
"Le Wall Street Journal est profondément préoccupé pour la sécurité" d'Evan Gershkovich, a indiqué le quotidien dans un bref communiqué.
L'ONG Reporters sans frontières a dit s'"alarmer" de "ce qui semble être une mesure de représailles: les journalistes ne doivent pas être pris pour cible!"
Et la France s'est dite "inquiète" et a appelé Moscou à respecter la liberté de la presse.
Faisant fi des critiques, le Kremlin a affirmé que M. Gershkovich avait été pris en "flagrant délit", et a mis en garde contre toute forme de représailles contre les médias russes aux Etats-Unis.
Depuis le début du conflit en Ukraine, la Russie a voté plusieurs lois punissant de lourdes peines de prison toute critique, ou assimilant les enquêtes journalistiques sur certains sujets sensibles à de l'espionnage.
"La nouvelle législation russe (...) permet de mettre en prison pour 20 ans n'importe qui s'intéressant aux affaires militaires, à l'opération militaire spéciale (en Ukraine), aux groupes militaires privés, à l'état de l'armée", relève ainsi l'analyste russe indépendante Tatiana Stanovaïa, qui dirige le centre d'analyse R.Politik.
Elle estime aussi que le FSB a pu prendre le journaliste "en otage" en vue d'un éventuel échange de prisonniers.
- Echanges de prisonniers -
Plusieurs échanges russo-américains ont en effet eu lieu ces dernières années.
Interrogée sur un potentiel futur échange avec Washington, la diplomatie russe a jugé le sujet prématuré, appelant via son vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, à "voir comment cette histoire évolue".
Plusieurs Américains sont déjà détenus en Russie, dont l'un, Paul Whelan, purge une peine de 16 ans de prison pour "espionnage" dans une affaire que l'intéressé et Washington jugent montée de toutes pièces.
Le dernier échange en date entre Moscou et Washington a eu lieu en décembre lorsque la Russie a remis la basketteuse américaine Brittney Griner, détenue pour trafic de drogue, contre la libération du trafiquant d'armes Victor Bout incarcéré aux Etats-Unis.
Si la presse et les journalistes russes critiques du Kremlin sont souvent poursuivis, les journalistes étrangers ont eux été épargnés, Moscou ayant préféré expulser des correspondants et durcir les règles d'accréditation.
Des reporters étrangers sont aussi parfois suivis par les services de sécurité lors de leurs reportages, notamment en dehors de Moscou.
Dans ce contexte, de nombreux médias occidentaux ont fortement réduit leur présence en Russie depuis l'entrée des forces russes en Ukraine.
B.Cretella--PV