"Soyez virils": des catholiques croates déclenchent un tollé
Chaque mois, des centaines d'hommes s'agenouillent sur la place publique en Croatie. Ils prient contre l'avortement, pour l'autorité masculine et pour que les femmes s'habillent avec modestie.
Ce mouvement d'hommes ultra-catholiques, appelé "Soyez virils", monte en puissance dans le pays des Balkans où l'Eglise catholique et les valeurs traditionnelles restent bien ancrées.
Mais les idées de ces "agenouillés", comme les baptisent leurs contempteurs, franchissent la ligne rouge pour beaucoup de défenseurs des droits: ils prônent l'abstinence sexuelle avant le mariage, l'interdiction absolue de l'avortement et exigent que les femmes se vêtent avec modestie.
Samedi 1er avril, à Zagreb, une centaine d'hommes se sont rassemblés, armés de chapelets, d'effigies de la Vierge Marie et de drapeaux croates.
"Les femmes doivent s'assurer qu'elles n'incitent pas les hommes au péché par leur comportement et leurs vêtements", a déclaré en janvier à la télévision locale Bozidar Nagy, prêtre favorable au "projet Soyez virils". Et de citer un théologien croate du XXe siècle qui estimait que "le fait de recouvrir les femmes dans l'islam est quand même une bonne chose".
Le mouvement a refusé de répondre aux questions de l'AFP, soulignant que les agenouillés se consacraient "exclusivement à la prière".
Ce groupe est dans le droit fil des nombreux courants conservateurs masculinistes ayant émergé ces dernières années à travers le monde pour dénoncer les droits LGBT+, le féminisme et le "wokisme", terme utilisé à droite pour dénoncer une supposée complaisance de la gauche envers les revendications des minorités.
- Piétiner les droits -
Des mouvements similaires sont apparus en Europe de l'Est, y compris en Pologne et en Serbie, pour exiger le retour aux valeurs traditionnelles et dénoncer les valeurs progressistes tout en réclamant l'interdiction de l'IVG.
Malgré ses prières collectives, le groupe ne semble guère populaire en Croatie: selon un récent sondage, 75% des Croates ne le soutiennent pas, contre 15% de favorables.
Les "Soyez virils" ont suscité des contre-manifestations d'opposants qui dénoncent une volonté de piétiner les droits des femmes. "Il n'y a pas de tolérance pour les intolérants", a déclaré à l'AFP Katarina Peovic, députée du Front des travailleurs d'extrême gauche, lors d'un de ces rassemblements. Selon elle, ces hommes "veulent revenir au patriarcat du XIXe siècle".
D'autres prennent la défense des "agenouillés".
Marica, 66 ans, qui refuse de donner son nom de famille, juge que "prier ne peut pas être mauvais", accusant les opposants d'être des "féministes avec des attitudes bizarres".
Deux passants d'une soixantaine d'années estiment que les prières collectives ne sont qu'une réaction "au comportement agressif des gens LGBT".
Les groupes ultra-conservateurs ont une petite influence dans un pays dont 80% des 3,8 millions d'habitants sont catholiques. Ils font surtout campagne contre l'avortement et le mariage entre personnes du même sexe.
En 2013, ils ont réussi à lancer un référendum qui s'est soldé par le refus d'autoriser les mariages homosexuels.
Voici six ans, des groupes religieux ont échoué à faire interdire l'avortement. Mais la procédure est très compliquée, de nombreux médecins refusant de pratiquer l'IVG au nom de l'éthique. Certaines femmes se font avorter à l'étranger.
Ivica Mastruko, sociologue des religions, juge que ces rassemblements "sont des espèces de performances plutôt que la manifestation d'une foi réelle". Pour lui, il n'est pas prouvé que les "agenouillés" aient le soutien de l'Eglise catholique ou la capacité d'influencer largement les mentalités.
"Ces craintes sont injustifiées s'agissant de la société croate", dit-il. "Je ne crois pas non plus qu'ils auront un impact sur les autorités, c'est-à-dire sur la législation".
Les organisateurs balayent toute critique et disent vouloir protéger les valeurs masculinistes.
Mais certains ont peur que le groupe se serve du sentiment anti-LGBT+ et anti-IVG pour faire avancer ses idées répressives.
"Normaliser de tels discours dans l'espace public peut déboucher sur l'abolition des droits humains", craint Zvonimir Dobrovic, de l'ONG Domino. "Non seulement ceux des femmes mais aussi ceux de la communauté LGBT, comme en Europe de l'Est".
F.Abruzzese--PV