Guerre de la drogue à Marseille: Macron face à des femmes "mortes à l'intérieur"
"Monsieur le président, je suis face à vous mais je ne suis plus là. Je suis empaillée, je suis morte à l'intérieur", commence Anita, mère d'un enfant victime de la guerre de la drogue à Marseille.
"Et je vous remercie de ne plus dire règlement de compte mais assassinat. Mon fils a été assassiné", insiste-t-elle.
Face à elle, Emmanuel Macron écoute, prend des notes, le visage grave.
Dans cette petite salle de la cité des Campanules, où des habitants ont réussi à faire fuir des dealers en début d'année, une poignée de femmes racontent la perte d'un proche dans ces violences liées au trafic de drogue qui ont déjà fait 23 morts cette année dans la deuxième ville de France.
Anita a le nom de son fils accroché autour du cou, en grosses lettres capitales dorées. Karima Meziene elle a perdu un frère. Pour Laetitia Linon, c'est un neveu, d'à peine 14 ans.
"Je vais vous raconter les larmes de sang qu'on pleure. Ma mère a Alzheimer et tous les jours je dois lui dire que son fils a été assassiné. Mon frère a été assassiné en 2016. J'ai vu un juge d'instruction en 2022. Et je suis avocate. Il y a eu un non-lieu. Je veux plus jamais qu'on m'oppose le secret de l'instruction. On a le droit à la vérité", lance Karima Meziene, membre du collectif des familles, créé en 2020 à Marseille.
Personne, ni le Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, ni le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ni le maire de Marseille Benoît Payan, n'ose toucher aux plantureux plateaux de pâtisseries orientales disposées sur des tables basses.
Puis Laetitia Linon raconte la mort de son neveu Rayanne, 14 ans, en août 2021, cité des Marronniers.
"Ensuite on a été menacé par le réseau qui a tué Rayanne". Elle serre très fort son éventail: "Deux ans après je n'y crois plus, malheureusement ça arrivera encore. J'ai encore reçu des vidéos cette nuit de petits de 10 ans et 17 ans, +Tatie ça a tiré quand on jouait au foot+".
- "Se réveiller" -
"Et sur internet, le droit à l'image n'existe pas, les images des assassinats tournent en boucle", embraye une autre. "Il faut se réveiller, il faut que ça cesse".
Ces femmes parlent sans fard et avec beaucoup de dignité des rats de leurs quartiers "qui ressemblent à des chats", du manque de moyens pour finaliser les enquêtes judiciaires, de leur manque de reconnaissance du statut de victimes, et de leur besoin d'aide, par exemple en étant relogé après un assassinat.
Le ton monte parfois entre elles. "Tu parles que" d'un quartier reproche l'une. "Vous avez perdu personne, vous pouvez pas parler", lance une autre.
Emmanuel Macron tente l'apaisement: "Ce que vous avez vécu et ce que vous vivez justifie les réactions. C'est légitime". Juste avant, il avait tenté de lever une incompréhension avec la tante de Rayanne qui lui avait reproché son discours à Marseille quelques jours après la mort de son neveu.
Il parlait des "mômes de 12 ans qui devraient être à l'école" plutôt que sur un point de deal, pas de Rayanne en particulier, jure-t-il.
"Sur ce qui a été dit sur la justice, ce sont des paroles de raisons, on va mettre des moyens particuliers sur Marseille pour que vous soyez mieux accompagnés", assure-t-il.
"Je vous promets que sur les quartiers nord vous verrez la différence", poursuit Emmanuel Macron, venu à Marseille pour lancer l'Acte II de son plan "Marseille en grand".
"Jamais, jamais on a mis autant" de moyens supplémentaires qu'à Marseille, avec plus de 300 policiers en plus, des recrutements au palais de justice, à la police judiciaire. Et il fait valoir la stratégie de harcèlement des points de deal, qui ont baissé de 40% en deux ans selon la police.
"On voit pas la différence, c'est normal ?", lui répond Anita.
E.Magrini--PV