Salvador: dans la prison géante de Tecoluca, six mois après son inauguration
"On est là, persévérant jour après jour": crâne rasé et visage parfois entièrement tatoué, des détenus de la nouvelle prison de haute sécurité du Salvador, construite pour quelque 40.000 criminels présumés, témoignent de leur enfermement lors d'une visite d'organismes de défense des droits de l'Homme.
"On essaye de changer avec l'aide de Dieu", parvient à dire depuis sa cellule José Hurquilla Bonilla, un membre présumé du gang Barrio 18, l'une des principales organisations criminelles du pays.
Tee-shirt et short blanc, un masque lui barrant le visage, comme les dizaines d'autres détenus derrière lui, il s'exprime lors d'une visite lundi du commissaire aux droits de l'Homme du gouvernement, le Colombien Andrés Guzman, et de la procureure générale pour la défense des droits de l'Homme Raquel Caballero.
"Nous essayons tous ici de changer nos vies avec l'aide de notre Seigneur Jésus-Christ, en tentant de donner une nouvelle image", poursuit l'homme derrière les grilles de sa cellule lors de cette visite à laquelle à pu prendre part l'AFP.
Construite sur ordre du président Nayib Bukele, qui a déclaré en avril 2022 une "guerre" sans merci contre les bandes criminelles, le pénitencier de Tecoluca, à 74 km au sud-est de la capitale San Salvador, comporte huit bâtiments carcéraux de 6.000 mètres carrés aux murs de béton renforcé.
Chaque bâtiment est doté de 32 cellules d'une centaine de mètres carrés où s'entassent entre 60 et 75 détenus. Chaque cellule comporte deux lavabos et deux cuvettes de WC. Les couchettes métalliques n'ont pas de matelas.
Inaugurée en début d'année, la prison accueille 12.000 détenus, pour la plupart soupçonnés d'appartenir aux redoutées "maras", ces bandes criminelles qui sévissent depuis des années dans le pays et dont les principales sont Barrio 18 et Mara Salvatrucha (MS-13).
Les conditions de détention dans ce centre, équipé de haute technologie de surveillance et présenté par le gouvernement comme la "plus grande prison d'Amérique", sont cependant dénoncées par des organisations de défense des droits de l'Homme.
- "pas assez à manger" -
Après s'être entretenue avec des détenus de différentes cellules, la médiatrice Raquel Caballero rapporte à l'AFP leurs échanges.
"Ils se plaignent qu'il n'y a pas assez à manger" et "qu'ils s'ennuient, qu'ils ne font rien parce qu'ils sont enfermés", ajoute-t-elle.
Les détenus ne sortent quasiment jamais de leur cellule, si ce n'est pour se rendre dans une salle de visioconférence pour des audiences judiciaires ou être transféré dans un cachot, sans fenêtre ni lumière, en guise de punition lorsqu'ils se comportent mal. Ils ne peuvent pas non plus recevoir de visites de proches ou de la famille.
Le commissaire Guzman rapporte de son côté que les détenus ont assuré ne pas manquer d'eau, mais réclamé des balais et du savon pour le nettoyage de leur cellule. Certains ont dit recevoir à temps du dentifrice, des brosses à dents et du savon, tandis que d'autres disent avoir besoin de médicaments.
Un médecin a assuré que des échantillons d'eau étaient prélevés "quotidiennement" et analysés dans un laboratoire pour en garantir la qualité.
"Il y a encore beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail à faire pour eux du point de vue des droits de l'Homme, mais nous nous en sortons bien", assure M. Guzman, estimant que les conditions d'enfermement sont "dignes".
L'ONG de défense des droits de l'Homme Cristosal a dénoncé 174 décès de détenus dans le pays à l'occasion du premier anniversaire du régime d'exception décrété en mars 2022. L'ONU a demandé une enquête sur ces décès.
"Lorsque vous êtes petit, lorsque vous êtes un enfant, n'importe qui vous ment, vous amadoue et vous tombez dans l'erreur", explique à l'AFP Nelson Velasquez, 37 ans, lui aussi un membre présumé du Barrio 18, disant avoir déjà purgé deux peines pour des crimes différents pour un total de 15 ans, et être dans l'attente d'un nouveau procès.
"Lorsque vous grandissez, la plupart du temps vous vous rendez compte de l'erreur dans laquelle vous êtes tombé", poursuit l'homme au crâne entièrement tatoué, interrogé dans une cour de la prison, les mains liées.
Le pénitencier a été construit pour accueillir une partie des plus de 72.000 membres de gangs détenus dans le cadre du régime d'exception décrété par le Congrès à la demande du président Bukele après une vague de 87 assassinats en seulement trois jours.
Y.Destro--PV