L'enquête sur la mort d'Adama Traoré en 2016 se solde par un non-lieu pour les gendarmes
Un épilogue, au moins provisoire, pour l'un des dossiers judiciaires français les plus sensibles: les gendarmes auteurs de l'interpellation à la suite de laquelle Adama Traoré est mort à l'été 2016 ont bénéficié vendredi d'un non-lieu dont la famille a immédiatement annoncé faire appel.
Cette décision, apprise par l'AFP auprès des avocats des deux camps, met pour l'instant un terme à une enquête houleuse, centrée sur des expertises médicales contradictoires.
Elle était attendue, puisque les trois gendarmes interpellateurs n'avaient jamais été mis en examen dans cette affaire, mais seulement placés en novembre 2018 sous le statut de témoin assisté, et parce que le parquet de Paris avait requis un non-lieu en juillet.
Me Yassine Bouzrou, qui défend la famille de ce jeune homme noir mort à 24 ans et qui dénonce de longue date la conduite de l'enquête, a indiqué sur Instagram qu'il faisait appel de cette décision.
"Cette ordonnance de non-lieu qui contient des contradictions, des incohérences et de graves violations du droit déshonore l'institution judiciaire", d'après lui.
L'objectif est, selon l'avocat, que la cour d'appel de Paris "puisse appliquer le droit dans cette affaire en renvoyant les gendarmes devant une juridiction de jugement où un débat contradictoire pourra dire si les violences ayant causé la mort d'Adama Traoré étaient ou non proportionnées et nécessaires".
Pour lui, "des incertitudes sont mises en avant afin de justifier le non-lieu, or nous ne sommes pas au stade des certitudes mais à celui des charges suffisantes pour qu'un débat contradictoire se tienne" devant un tribunal.
Dans un communiqué transmis à l'AFP, Mes Rodolphe Bosselut, Sandra Chirac-Kollarik et Pascal Rouiller, qui défendent les trois gendarmes impliqués dans l'interpellation, ont au contraire salué une décision "logique et conforme à la réalité" quant au "caractère légitime et proportionné de l'interpellation d'Adama Traoré".
Malgré l'appel de la famille Traoré, "cette décision met fin à six années de tentatives de réécriture médiatique du dossier qui a voulu présenter nos clients comme des +tueurs+", poursuivent les avocats des militaires, qui "saluent cette réhabilitation tant attendue et méritée".
- "Manquements" -
Adama Traoré est mort le 19 juillet 2016 dans la caserne de Persan, près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise) au terme d'une course-poursuite, un jour de canicule où la température avait frôlé les 37°C.
Il avait été interpellé lors d'une opération qui visait son frère Bagui, suspecté d'extorsion de fonds.
Comme pour Nahel M., tué à Nanterre le 27 juin par un tir policier, l'annonce de sa mort avait suscité plusieurs nuits de violences dans la petite ville de Beaumont-sur-Oise et dans les communes voisines, d'une intensité toutefois nettement moindre.
Depuis, emmenés par sa grande soeur Assa Traoré, militante, les proches du jeune homme accusent les militaires d'avoir causé sa mort et ont fait de son décès un symbole des violences policières et du racisme.
Pour eux, les militaires ont pratiqué un "plaquage ventral" qui a causé une "asphyxie positionnelle" fatale de la victime. Ils soulignent les déclarations initiales de l'un des gendarmes selon lequel Adama Traoré "a pris le poids de nos corps à tous les trois", lors de son menottage dans l'appartement où il s'était caché, sans témoin ni trace vidéo.
Interpellé, Adama Traoré avait ensuite été transporté en véhicule, mais avait eu un malaise en voiture avant de décéder dans la cour de la gendarmerie de la ville voisine de Persan.
La famille accuse les gendarmes de n'avoir pas porté secours au jeune homme, laissé menotté jusqu'à l'arrivée des pompiers.
Ce dossier a fait l'objet d'une âpre bataille d'expertises médicales.
Selon un rapport rendu en janvier 2021 par quatre experts belges, le décès d'Adama Traoré a été causé par un "coup de chaleur" qui n'aurait toutefois "probablement" pas été mortel sans son interpellation par les gendarmes.
Fin juin, la Défenseure des droits (DDD), Claire Hédon, avait relevé une série de "manquements" quant aux secours apportés à Adama Traoré et demandé "des poursuites disciplinaires" contre les trois gendarmes ainsi qu'un quatrième, adjudant-chef, présent à la caserne de Persan.
R.Zarlengo--PV