Un Chili divisé commémore le coup d'Etat du général Pinochet il y a 50 ans
Le Chili a clos lundi par une veillée aux chandelles dans un ancien centre de torture les cérémonies du 50e anniversaire du coup d'Etat militaire d'Augusto Pinochet et la chute du gouvernement de Salvador Allende, sur fond de divisions sociale et politique sur l'héritage de sa propre histoire.
Depuis le Palais de La Moneda, bombardé par l'armée de l'air chilienne le 11 septembre 1973, Gabriel Boric a présidé aux commémorations, placées sous le slogan "Démocratie toujours", en présence de chefs d'Etat actuels ou anciens d'Amérique latine.
"Quelle que soit la couleur du régime qui viole les droits de l'Homme, qu'il soit rouge, bleu ou noir, les droits de l'Homme doivent toujours être respectés et leur violation condamnée sans aucune nuance", a lancé le président Boric.
"Le coup d'Etat" du général Pinochet "est indissociable de ce qui s'en est suivi, les droits de l'Homme ont été violés dès le début", a ajouté le dirigeant de gauche de 37 ans, premier président du Chili à être né après le coup d'Etat militaire.
La voix sanglotante, la sénatrice socialiste Isabel Allende, fille du président défunt qui s'est suicidé ce jour-là, a ému l'assistance en contant sa journée du 11 septembre 1973. Face à elle, au premier rang, Maya Fernandez, ministre de la Défense et petite-fille de Salvador Allende.
"Aujourd'hui, alors que la démocratie dans le monde est confrontée à de nouvelles menaces autoritaires, il est plus que jamais nécessaire de renouveler l'engagement de chacun d'entre nous en faveur de la démocratie", a-t-elle dit.
Une minute de silence a été respectée à 11H52, l'heure où La Moneda a été bombardée, ouvrant la voie à 17 années de dictature durant laquelle 1.747 personnes ont été tuées et 1.469 ont disparu.
Mais un demi-siècle plus tard, le Chili est toujours divisé sur le sens à donner à cette commémoration.
Selon une récente enquête réalisée par l'institut Activa Research, 40% des Chiliens estiment qu'Allende est responsable d'avoir conduit le Chili vers le coup d'Etat, tandis que 50% abhorrent le régime imposé par le général.
Par ailleurs, dans un pays où 79% des 20 millions d'habitants sont nés après 1973 et où la principale préoccupation reste l'économie et l'insécurité, ces commémorations suscitent peu d'intérêt.
- "L'histoire jugera" -
Les héritiers politiques du président Allende gouvernent aujourd'hui, mais le Parti républicain, parti d'extrême droite ouvertement nostalgique de Pinochet, est arrivé en tête en mai de l'élection du Conseil chargé de rédiger une nouvelle Constitution, censée amender celle rédigée sous la dictature (1973-1990).
L'UDI, un autre parti d'extrême droite, a publié en début de journée un communiqué affirmant que le renversement d'Allende était "devenu inévitable" en raison de la "situation extrême" dans laquelle se trouvait le pays.
"Bien sûr qu'il y avait une autre alternative", a répondu lors de son discours M. Boric, forçant les applaudissements des proches des disparus et des personnalités présentes.
Aucun représentant de l'opposition de droite n'a assisté à la cérémonie à La Moneda ni ne s'est joint à l'engagement de "défendre la démocratie contre les menaces autoritaires" promu par le président.
"C'est très douloureux. L'histoire jugera", a réagit Isabel Allende, déplorant les "reculs" constatés selon elle au cours de ces commémorations.
A Washington, pressé pour savoir si les Etats-Unis présenteraient des excuses officielles pour avoir soutenu le coup d'Etat en 1973, le porte-parole du département d'Etat, Matthew Miller, a répondu ne pas vouloir "parler avec ce niveau de spécificité d'événements qui se sont produits sous une administration précédente il y a 50 ans".
Il a souligné que l'administration Biden "s'est efforcée d'être transparente sur le rôle des Etats-Unis dans ce chapitre de l'histoire chilienne en déclassifiant récemment des documents datant de 1973, comme le gouvernement chilien nous l'avait demandé".
Dans la nuit de lundi, une veillée aux chandelles a drainé des milliers de personnes au stade de Santiago qui avait été converti en centre de détention et de torture pendant la dictature. Aux portes de la ville, des manifestants ont également empêché le passage de véhicules.
Sans avoir jamais mis les pieds dans une prison et encore moins dans un tribunal, Augusto Pinochet est mort d'une crise cardiaque en 2006 à l'âge de 91 ans.
M.Jacobucci--PV