Les femmes cherchent leur place dans l'essor du foot saoudien
Si Cristiano Ronaldo et Neymar enflamment les stades en Arabie saoudite, une révolution plus discrète mais tout aussi étonnante s'opère dans le football professionnel féminin, inexistant il y a encore cinq ans dans le royaume du Golfe.
Dans la ville montagneuse de Taëf, les joueuses saoudiennes se préparaient récemment à affronter le Pakistan lors d'un match amical, le dernier d'une série de rencontres visant à développer la courte expérience des "Vertes" sur le terrain.
Formée il a seulement deux ans, la sélection nationale a fait son entrée dans le classement de la FIFA en mars dernier, à la 171e place, après une année 2022 marquée par son premier match international contre les Seychelles - remporté 2 à 0 - et la création du premier championnat féminin dans le pays.
L'Arabie saoudite, qui vient par ailleurs d'annoncer sa volonté d'organiser le Mondial masculin en 2034, a aussi présenté sa candidature pour accueillir la Coupe d'Asie féminine de football en 2026, alors que les femmes n'avaient même pas le droit d'assister aux matchs jusqu'en janvier 2018, encore moins de jouer au niveau professionnel.
A 22 ans, la milieu de terrain Layan Jouhari affirme progresser "pas à pas", tout en rêvant de participer un jour au Mondial.
"J'ai suivi la Coupe du Monde précédente par simple curiosité et intérêt, mais cette année c'était différent", dit-elle à l'AFP. "Je l'ai regardée d'un autre point de vue, en me disant que ce sont désormais mes adversaires."
- Réformes et critiques -
Les footballeuses saoudiennes incarnent les changements en cours dans le royaume conservateur, qui cherche à s'ouvrir au monde tout en réduisant sa dépendance au pétrole, dont il le premier exportateur au monde.
Les femmes y ont obtenu ces dernières années de nouveaux droits, comme celui de conduire et d'obtenir un passeport sans l'autorisation de leur tuteur masculin.
Mais les défenseurs des droits humains continuent d'y dénoncer les discriminations dont elles sont victimes et la répression menées contre les voix critiques.
Un documentaire diffusé le mois dernier sur la plateforme de streaming de la FIFA a retracé le parcours des joueuses saoudiennes, à la lumière de la nouvelle stratégie d'investissements massifs du royaume dans le sport.
La promotion du football saoudien est toutefois loin de faire l'unanimité. Les discussions cette année sur un éventuel parrainage de la Coupe du monde par l'Office du tourisme saoudien ont suscité les critiques des coorganisateurs néo-zélandais et australiens, ainsi que de la star américaine Alex Morgan, avant que la FIFA n'annonce en mars qu'aucun accord n'avait été conclu.
Pour Monika Staab, la première entraîneure de la sélection saoudienne aujourd'hui directrice technique, les critiques ne sont pas toujours fondées.
"Je recommande toujours à ceux qui ne savent pas ce qui se passe ici de venir en Arabie saoudite pour voir par eux-mêmes", affirme l'ancienne joueuse allemande.
- "Ma mission" -
Beaucoup de joueuses n'ont pas attendu les autorités pour découvrir leur passion.
"Le football a toujours été présent dans ma famille aussi loin que je me souvienne. Mes sœurs aînées jouaient au football et m'ont fait tomber amoureuse du jeu", raconte Bayan Sadagah, la capitaine de l'équipe de 28 ans.
L'importance accordée au sport féminin dans le cadre du programme de réforme du jeune prince héritier du royaume, Mohammed ben Salmane, l'a toutefois encouragée à abandonner son emploi d'infirmière pour se concentrer sur "une seule voie".
Pour la jeune sélection, l'arrivée de stars internationales du côté masculin est également une source d'inspiration.
Layan Jouhari se souvient de son obsession, plus jeune, pour les vidéos du français N'Golo Kanté, qui joue désormais comme elle sous la bannière du club Al-Ittihad.
La jeune femme affirme avoir hâte de le rencontrer, même si elle craint de "perdre ses mots" face à lui.
Monika Staab, elle, ne dit penser qu'aux joueuses.
"Je m'intéresse uniquement au football féminin car je veux qu'il grandisse, je veux qu'il se développe - c'est ma mission", dit celle qui a travaillé aussi à la Fifa comme consultante sur des projets de développement.
C.Grillo--PV