La mort au travail, un fléau qui "pourrait être évité"
Avec deux décès accidentels chaque jour, la France reste l'un des pays d'Europe où l'on meurt le plus au travail. Proches de victimes et spécialistes du sujet récusent pourtant toute fatalité, et appellent les pouvoirs publics à faire mieux respecter les règles de sécurité.
Ce fléau ne recule pas: le ministre du Travail, Olivier Dussopt, évoquait récemment "une forme de plancher que nous n'arrivons pas à franchir, autour de 700 décès par an", depuis plus de 15 ans.
Mauvaise élève à l'échelle de l'Union européenne, la France arrive au 4e rang des pays les plus touchés, selon des données d'Eurostat portant sur 2021. Un classement à relativiser selon M. Dussopt, qui plaide pour une harmonisation des indicateurs entre les pays.
L'impact humain de ces drames se double d'un lourd impact économique, pour les entreprises, "la solidarité nationale et la société dans son ensemble", pointe le gouvernement: en 2021, les accidents professionnels ont engendré 51 millions de jours d'arrêts maladie et plus de 2,5 milliards d'euros de prestations versées aux victimes et ayants-droit.
Espérant provoquer un "électrochoc", le ministère a lancé récemment une campagne pour appeler à la "responsabilité de l'entreprise" et à la "vigilance de tous".
De nombreux drames "auraient pu être évités, si les règles avaient été respectées", assure Véronique Millot, vice-présidente du "Collectif familles: stop à la mort au travail".
- Mises en danger -
En 2021, Mme Millot a perdu son fils Alban, décédé le jour de ses 25 ans. Le jeune homme a fait une chute de cinq mètres, trois semaines après son embauche dans une entreprise de pose de panneaux photovoltaïques.
"Il n'y avait pas de baudrier, pas de harnais, pas d'échafaudage, pas de filet, juste une échelle", énumère-t-elle.
Membre du collectif "Cordistes en colère", Grégory Molina relève aussi les "défaillances d'organisation, de formation et d'encadrement", qui exposent les professionnels à des risques accrus.
Ces situations de "mises en danger" par les entreprises sont également pointées du doigt par des inspecteurs du travail interrogés par l'AFP.
"Lorsqu'on enquête sur les accidents du travail graves et mortels, on ramasse les infractions comme les feuilles à l'automne", affirme Gérald Le Corre, inspecteur du travail et représentant CGT à Rouen, qui relève au quotidien le faible niveau des formations sur la sécurité, les "machines et équipements non sécurisés", ou encore l'absence de "temps suffisant pour respecter les procédures".
Dans ce domaine, "le premier des responsables est l'employeur", souligne Anthony Smith, responsable syndical CGT au ministère du Travail et inspecteur du travail.
- "Cloués au pilori" -
Or, avec moins de 2.000 inspecteurs du travail pour 21 millions de salariés du secteur privé, "impossible de tout vérifier", déplore-t-il, notant la maigreur de "l'arsenal législatif" pour protéger les salariés.
"Il est absolument insupportable de voir cloués au pilori les chefs d'entreprise pour un soi-disant sous-investissement sur ce sujet", réplique toutefois, du côté du patronat, Eric Chevée, vice-président en charge des Affaires sociales à la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
Les accidents du travail sont au contraire "une préoccupation permanente des chefs d'entreprise", qui engagent d'ailleurs "leur responsabilité civile et pénale en la matière", et assument une partie du coût des accidents, selon ce responsable.
Pour la sociologue Danièle Linhart, la persistance inquiétante des accidents mortels est à mettre en relation avec "l'individualisation du monde du travail", la "mise en concurrence" des individus et la "culture du changement permanent".
"On demande aux gens d'atteindre des objectifs de plus en plus difficiles", analyse cette universitaire spécialiste de l'évolution du travail. Cela "contribue à ce qu'ils prennent des risques et aillent au-delà de la fatigue".
F.Dodaro--PV