Entre l'Ukraine et la Pologne, une frontière bloquée et des routiers au désespoir
"On attend depuis longtemps, et on vient à bout de nos réserves d'eau et de nourriture", s'agace Dmitro, chauffeur routier ukrainien, en marchant le long d'une file de camions qui semble interminable, à la frontière entre son pays et la Pologne.
Arrivé depuis quatre jours au poste-frontière de Rava-Rouska, dans l'ouest de l'Ukraine, il est à bout de nerfs. "La Pologne est un pays de transit, on va en Estonie", explique-t-il jeudi, demandant qu'on "ouvre une route" pour ses collègues et lui.
Comme lui, nombre de routiers sont devenus depuis le début de la semaine les victimes collatérales d'un désaccord commercial.
Des entreprises de transport polonaises ont commencé lundi à bloquer trois points de passage pour protester contre la "concurrence déloyale" de leur voisin, laissant toutefois passer voitures et bus.
Elles disent notamment avoir vu leurs revenus chuter et en imputent la responsabilité à l'abandon d'un système de permis qui régissait l'entrée des compagnies de transport ukrainiennes dans l'UE.
Un nouveau point de tension entre Kiev et Varsovie, dont la relation a déjà été étiolée par une discorde sur l'exportation des céréales ukrainiennes en Europe.
Des deux côtés de la frontière, plus de 20.000 véhicules sont désormais bloqués, selon l'Ukraine. A l'un des points de passage, le temps d'attente est d'environ 160 heures.
Alors les chauffeurs prennent leur mal en patience, et campent dans leur véhicule. Leonid, Ukrainien de 58 ans, y mange une soupe préparée à l'aide de son réchaud.
Cela fait deux jours qu'il attend, tout cela à cause "de questions politiques", explique-t-il dans son habitacle.
"Ce n'est pas du tout les conducteurs ou les chefs d'entreprises qui ont fait quelque chose de mauvais. C'est les ambitions politiques des Polonais, c'est tout", croit-il savoir.
- "Pas normal" -
Autour de lui, des camions à l'arrêt, rangés les uns derrière les autres sur le bas-côté. Ici et là, des chauffeurs discutent pour tromper l'ennui, d'autres réparent leur véhicule.
Oleksandre, 36 ans, a lui aussi pris sa place dans la file d'attente il y a deux jours.
"On peut manger ce qu'on a emporté de chez nous. On peut faire du thé ou du café si quelqu'un a un réchaud. Sinon, on mange de la nourriture sèche", dit-il.
Devant un semi-remorque orange et rouge, il s'agace des conditions dans lesquelles ses collègues et lui sont obligés de vivre provisoirement.
"Vous voyez, il y a un fossé et un champ, pas de toilettes, rien", déclare-t-il.
Au-delà de sa propre situation, Oleksandre s'inquiète des conséquences du blocage. "Ce n'est pas normal de fermer la frontière pendant la guerre. C'est juste une pression économique sur l'Ukraine", dit-il.
"Les marchandises ne vont pas seulement à la Pologne, elles vont à tous les pays européens, et la Pologne décide toute seule de fermer la frontière", reprend le routier. "Ce n'est vraiment pas normal."
D.Bruno--PV