Procès d'Eric Dupond-Moretti: les réquisitions débutent cet après-midi
Après une semaine de procès, c'est l'heure mercredi du réquisitoire au procès inédit d'Eric Dupond-Moretti, premier ministre de la Justice à être jugé dans l'exercice de ses fonctions, pour des soupçons de conflit d'intérêts.
Le réquisitoire à deux voix débutera à 14H00, après la pause déjeuner.
Le garde des Sceaux est accusé d'avoir usé de ses fonctions pour régler des comptes avec des magistrats qu'il avait critiqués quand il était avocat. A l'audience dans la matinée, en marge de l'audition de deux derniers témoins, le président Dominique Pauthe l'a de nouveau interrogé sur le sujet.
"Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise de plus", a lâché Eric Dupond-Moretti. "Je me suis longuement exprimé, je ne vais pas répéter".
"J'ai toujours dit que je n'ai pas eu le sentiment d'être dans un conflit d'intérêts, que je n'avais aucune envie de régler des comptes avec qui que ce soit", a-t-i ajouté.
Le garde des Sceaux avait envisagé de ne pas comparaître en matinée devant la Cour de justice de la République (CJR) pour se rendre au Conseil des ministres, mais il n'a finalement pas raté une journée d'audience. Tout juste s'est-il absenté pour quelques coups de téléphone et on l'a parfois vu signer des documents sur la table couverte d'une nappe bleue posée dans le prétoire. C'est là qu'il s'assied, quand il n'est pas debout à la barre pour interroger lui-même les témoins, ne laissant que peu de place à sa défense.
Au cours de ce procès, on l'a retrouvé avocat, ne laissant rien passer et faisant subir aux témoins à charge un fond sonore de grommellements et de soupirs exaspérés. "Pardon, je suis un peu bouillonnant", s'est-il excusé auprès de la cour.
Même traitement pour l'accusation et ses "questions orientées": "la messe est dite", "tout est à charge", se plaint l'ex-avocat vedette aux 36 années de barreau. Au fil des audiences, il a multiplié les regards furibonds - et les jetés de calepin rageurs sur sa table -, tourné en direction du procureur général de la Cour de cassation Rémy Heitz.
Le ministre et lui ont plutôt l'habitude de se croiser lors de rencontres institutionnelles mais ici, c'est le haut magistrat qui porte l'accusation, et dira, dans l'après-midi, s'il requiert une condamnation du ministre.
- "Vous détournez l'attention" -
Au premier jour de l'audience, lors d'un propos liminaire qualifié de "pré-réquisitoire inutile" par la défense du ministre, Rémy Heitz avait demandé aux juges de la CJR de faire preuve d'"un souci permanent de l'objectivité et de l'impartialité".
Ils sont quinze, dont trois magistrats professionnels et douze parlementaires de tous bords, qui ont revêtu la robe noire pour l'occasion.
"Ce procès n'est pas celui de la justice, c'est le procès d'une double prise illégale d'intérêt", avait prévenu le procureur général.
La première affaire concerne trois magistrats du Parquet national financier (PNF) qui avaient fait éplucher les factures téléphoniques d'Eric Dupond-Moretti quand il était avocat dans un dossier lié à l'ancien président Nicolas Sarkozy - des "méthodes de barbouze", avait-il dénoncé.
La seconde affaire concerne un ancien juge d'instruction, auquel il avait imputé des méthodes de "cow-boy" et contre qui il avait porté plainte au nom d'un client pour violation du secret de l'instruction.
Dans les deux cas, l'avocat devenu ministre avait ouvert une enquête administrative contre ces magistrats, pas pour se "venger" de ces affaires devenues le "cadet" de ses soucis, selon lui, mais parce que les procédures étaient déjà lancées par sa prédécesseure Nicole Belloubet. Il n'avait pas de raisons de ne pas suivre les "recommandations" de son ministère, a-t-il martelé.
Pendant l'audience, Eric Dupond-Moretti, qui voit dans ce procès le résultat d'une "guerre" menée contre lui par des magistrats qui n'auraient jamais accepté sa nomination, s'est efforcé de démontrer que l'ouverture de ces enquêtes "s'imposait".
"Vous détournez l'attention sur l'enquête", mais "c'est son auteur qui est au cœur des débats", avait rétorqué Rémy Heitz. "Si Mme Belloubet était restée ministre et qu'elle avait ouvert cette enquête administrative, elle ne serait pas sur le banc de prévenus aujourd'hui", puisque la question du conflit d'intérêts ne se poserait pas.
"Le prévenu", avait rappelé le procureur général au premier jour d'audience, "encourt, notamment, une peine de cinq années d'emprisonnement". Ainsi qu'une interdiction d'exercer une fonction publique.
A.Tucciarone--PV