Au Kenya, l'inquiétante progression des mutilations génitales féminines "médicalisées"
Edinah Nyasuguta Omwenga luttait pour sa survie après avoir développé des complications lors de son accouchement lorsqu'elle a entendu des médecins d'un hôpital au Kenya décrire son état comme un exemple typique des effets néfastes, voire mortels, de l'excision.
Contrairement à des milliers de jeunes filles en Afrique de l'Est, Edinah Nyasuguta Omwenga a subi une mutilation génitale féminine (MGF) - terme qui désigne notamment les interventions visant l’ablation partielle ou totale du clitoris - dans un hôpital.
"J'avais sept ans (...) personne ne m'avait dit que cela causerait autant de problèmes", se souvient la jeune femme, aujourd'hui âgée de 35 ans.
Lorsque le Kenya a interdit les MGF en 2011, peu avaient anticipé que ce procédé - traditionnellement pratiqué en public avec faste et cérémonie - prendrait la direction des cliniques et maisons privées, à l'abri des regards.
Les mutilations génitales féminines médicalisées sont défendues tant par les praticiens que par les communautés comme un moyen de préserver la coutume, malgré les risques pour la santé physique, psychologique et sexuelle des filles, qui ont souvent moins de 15 ans.
Selon un rapport de 2021 de l'Unicef, les MGF médicalisées se développent en Égypte, au Soudan, en Guinée et au Kenya, où elles menacent de réduire à néant les progrès réalisés par ce pays d'Afrique de l'Est pour l'éradication de cette pratique.
Les autorités kényanes estiment que le taux de MGF a diminué de plus de moitié entre 1998 et 2022, passant de "38% à 15%". Mais des ONG préviennent que les chiffres réels pourraient être supérieurs.
- "La fin du monde" -
Dans le comté de Kisii, à 300 kilomètres à l'ouest de la capitale Nairobi, plus de 80% des MGF sont réalisées par des personnels de santé, selon le gouvernement.
Doris Kemunto Onsomu, employée dans un établissement de santé, a passé des années à pratiquer cette incision aux écolières de la région vallonnée, estimant qu'il s'agissait d'une alternative plus sûre à la procédure traditionnelle qu'elle a subie lorsqu'elle était adolescente.
"Parce que j'étais consciente du risque d'infection, j'utilisais une lame neuve à chaque fois", explique-t-elle à l'AFP, assurant qu'elle pensait "aider la communauté".
La demande, qui lui permettait d'augmenter ses revenus de 50%, venait de tous les milieux sociaux.
"Les traditions rejettent l'éducation. Il faut beaucoup de temps pour désapprendre certaines pratiques", dit Doris, 67 ans.
Tina, qui n'a pas souhaité donner son vrai prénom, se trouvait chez sa grand-mère à Kisii quand un agent de santé est arrivé tard dans la nuit pour l'opérer.
Elle avait 8 ans.
"C'était comme si c'était la fin du monde, c'était très douloureux", raconte cette fille d'ingénieur à l'AFP. Sur ordre de sa grand-mère, elle doit rester à l'isolement, jusqu'à ce que la blessure cicatrise.
Aujourd'hui étudiante à l'université de Nairobi, la jeune femme de 20 ans milite contre cette pratique, reflétant la volonté croissante des victimes des MGF de l'éradiquer.
Rosemary Osano, cadette d'une famille composée de cinq soeurs, "s'est sentie sous pression" pour suivre la tradition lorsqu'elle a été excisée.
"Les gens ont l'impression que nous avons adopté la culture occidentale à bien des égards (...) alors ils veulent défendre (les MGF) comme un moyen de conserver leur culture", soutient Rosemary Osano, 31 ans.
- Sensibilisation -
Et la pratique persiste aussi au sein de la diaspora.
En octobre, un tribunal de Londres a condamné une Britannique pour avoir emmené une fillette de trois ans dans une clinique kényane pour y subir une MGF médicalisée.
Ceux qui pratiquent encore les MGF "disent que sans cette excision, la jeune fille deviendra une prostituée", dit à l'AFP l'activiste Esnahs Nyaramba.
Le président William Ruto a exhorté les Kényans à cesser de pratiquer les MGF, mais pour Esnahs Nyaramba, les autorités devaient prendre des mesures plus sévères contre les auteurs.
"Si vous (jetez) un parent en prison (...) alors les gens auront peur", assure l'activiste.
Mais pour d'autres militants, une politique plus répressive pourrait rendre la pratique encore plus clandestine.
Plusieurs ONG ont décidé de se focaliser sur la sensibilisation pour persuader les familles d’opter pour des rites de passage alternatifs, combinant les rituels de célébration du passage à l’âge adulte avec les enseignements traditionnels.
Lors d'une cérémonie organisée par l'ONG kényane Manga HEART à Kisii, une centaine de filles - portant des jupes kitenge et âgées de 7 à 11 ans - ont chanté des chansons et récité des comptines, exhortant leurs parents à les "sauver des MGF".
Certaines des grands-mères et des mères présentent durant la cérémonie ont vécu dans leur chair cette pratique.
"J'ai perdu beaucoup de sang pendant les MGF (...) mais je n'ai pas pu empêcher que cela se produise", soutient Edinah Nyasuguta Omwenga, mère de trois enfants qui a failli mourir pendant l'accouchement, avant de conclure: "Je ne veux pas que mes filles souffrent comme moi".
G.Riotto--PV