A Marseille, jamais le narcobanditisme n'avait fait couler autant de sang
Près de 50 morts cette année, dont beaucoup d'adolescents et au moins quatre victimes collatérales: jamais à Marseille le trafic de stupéfiants n'avait fait couler autant de sang.
Ces derniers mois, la deuxième ville de France est le théâtre d'une "vendetta" entre deux clans, selon les mots de la préfète de police des Bouches-du-Rhône, Frédérique Camilleri.
Et si depuis mi-novembre "la pression retombe un petit peu", "la situation reste fragile", reconnaît le procureur de la République de Marseille, Nicolas Bessone, qui a dressé jeudi le bilan d'une année soldée à "un niveau historiquement jamais atteint".
Depuis janvier, 47 personnes ont perdu la vie dans cette guerre entre gangs, selon un décompte croisé du parquet et de l'AFP. Beaucoup plus donc que les deux précédents records de 2022 et 2016, qui avaient fait une trentaine de morts. Le nombre de blessés (118) est lui aussi dramatique.
Et 73% de ces faits sont en lien avec le contentieux entre la DZ Mafia et Yoda, a insisté le procureur.
L'un se revendique de l'Algérie (Djazair), l'autre est sans doute une référence à Star Wars. De sources policières, DZ Mafia semble prendre le dessus.
Un point sur lequel le procureur est resté prudent, estimant qu'il est "trop tôt" pour se prononcer.
"Les deux chefs de ces organisations criminelles ne sont pas sur site mais vraisemblablement à l'étranger, de sorte qu'ils sont difficilement neutralisables par les services ou leurs ennemis", expliquait à l'AFP Dominique Abbenanti, le patron de la police judiciaire de Marseille, voyant là l'explication de "ces conflits (qui) s'éternisent".
- "Dépersonnalisation" des victimes -
Sur ce point, Nicolas Bessone compte sur une accélération de la coopération internationale, qui sera facilitée par la prise de fonction imminente de deux magistrats de liaison français, l'un à Dubaï et l'autre dans les Caraïbes, à Sainte-Lucie.
Dans cette guerre pour le juteux chiffre d'affaires des 91 points de deal toujours présents à Marseille, qui peuvent rapporter jusqu'à 80.000 euros par jour, une nouvelle forme de criminalité est apparue, et un terme, "narchomicide", inventé par l'ex-procureure de Marseille Dominique Laurens.
Car on est loin désormais des règlements de compte traditionnels, qui visaient spécifiquement "des individus impliqués à un certain niveau de la criminalité organisée", a expliqué M. Bessone: "Aujourd'hui, il y a une vraie dépersonnalisation des personne ciblées".
Les victimes sont aussi de plus en plus jeunes, comme leurs assassins, un phénomène qui se retrouve ailleurs en Europe. Mattéo, tout juste majeur, a ainsi été mis en examen pour l'assassinat d'au moins deux minots de 15 et 16 ans début avril.
"Des tueurs à gages dont le recrutement s'effectue via les réseaux sociaux", appuie un enquêteur, sous le couvert de l'anonymat.
Ces adolescents venus de toute la France sont attirés par le mirage de l'argent facile. Mais ces jobbers se retrouvent souvent piégés dans une spirale de dette plus ou moins fictive vis-à-vis du réseau, de violences voire de torture. Quand ils ne meurent pas.
Mi-novembre, un Savoyard de 16 ans qui voulait charbonner (vendre dans le jargon) a ainsi été assassiné quatre heures seulement après son arrivée gare Saint-Charles.
Au total, sept mineurs ont été tués depuis le début de l'année et 18 blessés, selon le procureur, qui relève un "très très fort rajeunissement" et la présence grandissante de femmes.
- Tuée "dans sa chambre" -
"Comme c'est devenu risqué, il faut rémunérer ce risque et, cynisme particulier, c'est moins cher un jeune de 15 ans", observe Jean-Baptiste Perrier, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l'université d'Aix-Marseille. Et "plus on est jeune, plus on est violent", ajoute l'universitaire.
Une centaine de fusils d'assaut auraient été saisis cette année, selon la préfecture de police, souvent gardés près des points de deal à défendre.
Résultat pour 2023: un bilan très lourd de quatre victimes collatérales. Un homme de 63 ans atteint fin avril dans un snack, alors qu'il jouait aux cartes.
Une mère de 43 ans tuée au pied d'une cité quelques jours plus tard. Ou cette Varoise de 25 ans abattue cet automne dans une voiture sur le parking d'un fast-food.
Et puis il y a la mort de Socayna, étudiante prometteuse, en septembre. Le "degré ultime" de ces violences selon l'ex-procureure de Marseille. "Ma fille a pris une balle dans la tête dans sa chambre, en pyjama, elle était en train de travailler sur son ordi. Qui peut expliquer ça ?", interpelle sa mère, Layla, dans un entretien à l'AFP.
Ces dernières semaines, plusieurs coups de filet ont eu lieu, notamment fin novembre-début décembre. Au total depuis janvier, une cinquantaine de personnes ont été mises en examen pour homicide ou tentative d'homicide en bande organisée. Parmi eux, 11% ont moins de 18 ans, 51% entre 18 et 21 ans, a détaillé le procureur.
Dans les couloirs du palais de justice, certains parlent de début de "mexicanisation", d'autres évoquent la Camorra à Naples au début des années 2000.
Le procureur de Marseille prône lui la création d'un délit d'association mafieuse et l'ouverture systématique d'enquêtes pour blanchiment afin de toucher les réseaux au portefeuille.
Les familles de victimes, elles, demandent des comptes: "Il faut vraiment un plan d'urgence, que ça devienne une cause nationale", insiste Karima Meziene, avocate et membre du collectif des familles.
S.Urciuoli--PV