Bangladesh: des Rohingyas emmenés de force se battre avec l'armée birmane
Réfugiée rohingya dans un camp du Bangladesh depuis qu'elle a fui la répression de la junte birmane, Sofura Begum n'a pu empêcher que son fils de 15 ans soit emmené de force se battre aux côtés de ceux auxquels elle avait échappé.
Plusieurs groupes armés rohingyas ont recruté de force "des centaines" de réfugiés au Bangladesh à l'instar du fils de Mme Begum, selon un haut fonctionnaire des Nations unies, s'exprimant sous couvert de l'anonymat.
"Ils nous ont menacés", affirme à l'AFP Sofura Begum, 30 ans, en racontant que des hommes armés étaient venus chez elle, exigeant qu'elle leur livre son jeune fils.
"Ils ont dit que c'était notre guerre sainte", se souvient-elle, "je ne voulais pas que mon fils parte à la guerre. Mais nous vivons une situation dangereuse".
Le Bangladesh abrite près d'un million de Rohingyas, minorité musulmane apatride de Birmanie. Ils ont pour la plupart fui, en 2017, une violente répression militaire qui fait désormais l'objet d'une enquête de l'ONU pour génocide.
L'AFP s'est entretenue avec six familles témoignant que des hommes avaient été enlevés au sein même de leurs foyers par des membres de trois groupes armés rohingyas ayant une présence établie dans les camps de réfugiés du Bangladesh.
Un Rohingya, sous couvert de l'anonymat, a déclaré à l'AFP que son fils de 20 ans avait été emmené à l'étranger par l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA).
"J'ai appris qu'il avait été blessé à la guerre", déplore cet homme, "c'est infâme que mon fils ait été enrôlé de force (...) chaque jour, les nôtres sont enlevés".
Selon Thomas Kean, de l'International Crisis Group, des jeunes de 14 ans ont été envoyés, à leur corps défendant, au combat. Mais, dit-il, un petit nombre de Rohingyas a pu s'engager volontairement dans l'armée birmane sur des promesses de "salaires et (d'obtention) de la citoyenneté".
- "Livré à la junte" -
La junte birmane, au pouvoir depuis son coup d'Etat de 2021, a activé en février une loi de conscription afin de renforcer ses troupes contre l'Armée de l'Arakan (AA) qui leur inflige de cuisantes défaites depuis l'an dernier.
Le week-end dernier, l'AA a pris le contrôle de Buthidaung, une ville birmane à majorité rohingya près de la frontière avec le Bangladesh.
L'AA affirme lutter pour une plus grande autonomie de la population de l'ethnie Rakhine dans l'Etat éponyme où sont restés vivre environ 600.000 Rohingyas après la répression de 2017.
Les organisations de la diaspora rohingya ont affirmé dans un communiqué que l'Armée de l'Arakan avait forcé les Rohingyas à quitter Buthidaung, avant de piller et brûler leurs maisons, ce que l'AA a démenti.
Un homme de Buthiduang, sous couvert de l'anonymat, a indiqué à l'AFP que son frère "a été battu et enlevé par l'ARSA avant d'être livré à la junte" puis envoyé combattre l'AA.
Selon lui, des membres de la junte ont assuré que les recrues étaient formées comme milices pour défendre les villages rohingyas.
"Mais plus tard, ils ont été utilisés sur les champs de bataille", poursuit-il. "La junte a menti dès le début."
- "Extermination" -
L'Organisation de solidarité avec les Rohingyas (RSO), un autre groupe armé opérant dans les camps du Bangladesh, a confirmé à l'AFP avoir recruté des réfugiés pour combattre l'AA.
"L'Armée de l'Arakan a torturé et massacré notre peuple", affirme à l'AFP Ko Ko Linn, chef politique de la RSO.
"Leur seule politique est l'extermination de la communauté rohingya", explique-t-il, "par conséquent, nous recrutons régulièrement des Rohingyas et leur donnons une formation militaire".
Ko Ko Linn s'est refusé à dire si d'autres groupes recrutent des hommes de force.
En revanche, le porte-parole de l'AA, Khaing Thu Kha, a affirmé à l'AFP que les trois groupes qu'il affronte, le RSO, l'ARSA et l'Arakan Rohingya Army (ARA), ont enrôlé de jeunes Rohingyas dans les camps du Bangladesh et les ont conduits dans un camp d'entraînement de l'armée birmane à Maungdaw, près de la frontière.
Les recrues ont "combattu aux côtés" de la junte contre l'AA, précise-t-il.
Avec des réseaux mobile et internet coupés dans une grande partie de l'Etat de Rakhine, il est difficile cependant d'évaluer l'impact de la coopération entre les groupes rohingyas et la junte sur le champ de bataille.
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M.Romero--PV