Pallade Veneta - En Turquie, après l'incendie, la bataille pour sauver les brebis

En Turquie, après l'incendie, la bataille pour sauver les brebis


En Turquie, après l'incendie, la bataille pour sauver les brebis
En Turquie, après l'incendie, la bataille pour sauver les brebis / Photo: Yasin AKGUL - AFP

Plaquée sur le dos, la brebis se débat quand le soigneur s'approche pour panser ses mamelles brûlées dans l'incendie qui a tué plus d'un millier de ses congénères fin juin, dans le sud-est de la Turquie.

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Depuis, Hasan Kizil bat les collines calcinées en camionnette pour soigner les animaux traumatisés et convaincre les éleveurs, ruinés, de ne pas vendre les rescapés blessés à l'abattoir.

L'incendie qui s'est déclenché de nuit dans les champs de blé autour de Mazidagi, près de la frontière syrienne, possiblement en raison d'un court-circuit, a fait 15 morts et 78 blessés parmi les bergers et les villageois qui ont vainement tenté de sauver leurs troupeaux et leurs terres.

Outre ce lourd bilan, la moitié des moutons et des chèvres qui dormaient sur les chaumes, 1.500 au total selon Hasan Kizil, ont péri carbonisés.

"La plupart d'entre eux avaient les yeux complètement fermés, trop gonflés pour voir devant eux", rapporte le vétérinaire autodidacte de 29 ans, qui soigne les brûlures autour des sabots et surtout, les mamelles, noircies par les flammes.

Avec délicatesse, il introduit une sonde pour en extraire un jus jaune, signe d'infection.

"Quelques jours de plus et le lait avarié aurait provoqué une septicémie", lâche-t-il. "Nous avons failli les perdre".

- Attelles et prothèses -

Chaque jour, Hasan visite les fermes, gracieusement, pour surveiller ses patientes et convaincre les éleveurs de garder leur troupeau abimé.

Garder des animaux blessés et improductifs est une lourde charge pour le jeune éleveur qui doit 27.000 livres turques (près de 800 euros) à la banque et payer les médicaments et le foin.

Tendu, Mehmet Celebioglu l'assiste. L'éleveur trentenaire, ancien vendeur de kekabs, venait de s'installer "par amour des animaux" et s'est lourdement endetté pour acheter 160 moutons et quelques chèvres.

Il montre sur son téléphone les images des bêtes calcinées, collectées près du mur de la bergerie et des quelques survivants, la robe et les pattes brûlées, démarches vacillantes.

Ne lui reste qu'une quarantaine de têtes, des brebis incapables de donner du lait et des chevreaux orphelins.

"Ils étaient couchés dans les champs quand l'incendie a éclaté. Cent-vingt moutons ont brûlé sur place. Leurs yeux ont fondu... Il ne me reste que ceux-là".

"Mes frères ont risqué leur vie pour les sauver", appuie sa soeur Gülistan, 18 ans, qui se souvient que le départ de feu a coupé l'électricité et surtout l'eau, alors que le vent chaud redoublait sur les collines.

Mehmet Celebioglu, originaire d'Adana, grande ville à 540 km plus à l'ouest, a entrainé toute sa famille dans son rêve et ne veut pas s'en défaire.

"Les vendre? On m'en donnerait 2.000, 3.000 livres (55 à 85 euros). Je me suis formé pendant deux ans et surtout, j'aime mes animaux".

- "Champ de bataille" -

Cet attachement a convaincu Hasan Kizil de le soutenir, se portant vers les sinistrés comme il l'avait fait en février 2023, au chevet des animaux blessés dans le séisme qui a dévasté le sud-est de la Turquie et causé près de 55.000 morts. Ou lors des gigantesques feux de forêt en 2021 dans le su

d-ouest.

Devenu une star locale sur Instagram, le jeune homme est connu pour bricoler attelles et prothèses pour les animaux handicapés. Plus de 240.000 abonnés suivent avec passion les interventions du "mécanicien de la vie", comme il se présente, sauvant renards, chats ou oiseaux blessés.

La nuit de l'incendie, rappelle-t-il, "c'était un champ de bataille. Les bouchers essayaient de s'emparer des animaux blessés pour les abattre tandis que nous, on essayait de les garder en vie".

Emus par les clichés des carcasses noircies et des survivants hébétés, des vétérinaires ont accouru de plusieurs grandes villes. La municipalité de Diyarbakir, l'une des principales villes du sud-est, a accueilli des animaux blessés dans son refuge; certains ont été envoyés dans des cliniques vétérinaires d'Adana (sud), d'Izmir (ouest) et d'Istanbul (nord-ouest).

"On continue de batailler", assure Hasan, dans une région où l'agriculture et l'élevage constituent l'essentiel de l'économie. Dans les jours qui ont suivi le sinistre, des moutons sont encore morts chez Mehmet, les poumons brûlés.

"Si nous pouvons récupérer les mamelles, celles-ci seront sauvées", dit-il en appliquant une pommade sur les plaies noires des brebis.

L.Barone--PV