Au Canada, les salles de shoot dérangent, 20 ans après leur implantation
Le grand tournant? Vingt ans après leur implantation au Canada, les salles de shoot sont de plus en plus mal perçues par les élus et la population, dans un pays pourtant vu jusqu'ici comme un exemple dans ce domaine.
Il y a quelques jours, le gouvernement de l'Ontario a annoncé la fermeture d'ici le mois de mars prochain de dix sites de consommation supervisée de drogues qu'il finance. Soit près d'un quart des centres du pays, qui en compte 38 sur la centaine existante dans le monde.
Un revirement total pour la province la plus peuplée du pays (centre-est), qui veut mettre l'accent sur le traitement et la guérison et non plus sur la réduction des risques.
"Je ne considère pas le fait que regarder quelqu'un s'injecter une drogue illicite soit un soin", a déclaré Sylvia Jones, ministre de la Santé de l'Ontario, en annonçant la fermeture des sites à proximité des écoles ou des garderies.
Un deuxième revers en quelques mois pour les défenseurs des politiques de prévention des risques.
En effet, de l'autre côté du pays, la Colombie-Britannique, qui avait décriminalisé en janvier 2023 la possession de petites quantités de drogue dure, est en partie revenue en arrière en avril dernier.
Une grande partie de la population s'élevait contre l'augmentation de la consommation de drogues dans les espaces publics.
Mme Jones a justifié ces fermetures dans l'Ontario en faisant état "d'altercations, de coups de couteau, de fusillades et même d'un homicide à proximité des sites d'injection".
Selon elle, les taux de criminalité sont jusqu'à 250% plus élevés dans les quartiers qui accueillent un centre.
- Problème qui augmente -
Lauren Lemoine, 63 ans, vit près de la clinique Somerset West d'Ottawa, en plein cœur de la capitale canadienne.
Il a récemment été agressé par des toxicomanes et dit avoir constaté qu'ils deviennent "super violents".
De l'autre côté du pays, à Red Deer en Alberta, la conseillère municipale Vesna Higham mène campagne pour la fermeture du site de sa ville, ouvert en 2018.
"Les habitants et les entreprises en ont assez", explique-t-elle à l'AFP, évoquant vandalisme et incivilités. "Ce que nous avons fait jusqu'à présent n'a pas fonctionné, cela ne fait qu'aggraver le problème. Donc nous devons maintenant changer notre façon d'aborder cette crise", estime-t-elle.
Au Canada, la première salle de shoot a ouvert ses portes en 2003, suivie par des dizaines d'autres en quelques années, à mesure que les opioïdes de synthèse gagnaient du terrain en Amérique du Nord.
"De plus en plus de pays se mettent à considérer la consommation de drogues comme une question de santé, une question sociale, et non comme une question criminelle ou morale", constate Nicholas Boyce, de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues.
Il rappelle que la Commission des stupéfiants des Nations unies a adopté pour la première fois en mars une résolution reconnaissant la réduction des risques comme une stratégie.
Pour lui, le revirement canadien est donc "vraiment décourageant" alors que le pays est considéré au niveau international "comme l'un des pays les plus progressistes" dans ce domaine.
- "Réponse efficace" -
Sur le terrain, même inquiétude. Infirmière sur un site de Toronto, Jessica Lyons est atterrée: leur retrait sera synonyme "de corps dans les allées et les parcs, dans les toilettes des Tim Hortons", une grande chaine de fast-food.
Mais plus important pour elle: cela "nie fondamentalement le droit d'un groupe de personnes à accéder aux services de santé dont elles ont besoin".
En 2011, la Cour suprême du Canada avait estimé que ces sites étaient "une réponse efficace à la propagation catastrophique des maladies infectieuses et au taux élevé de décès par overdose".
Entre 2016 et 2023, 44.592 personnes sont mortes à la suite d'une overdose dans le pays, mais aucune dans un site d'injection sécurisé.
Pour l'ancien toxicomane Jonathan McAdam, les services de réduction des risques sont essentiels pour maintenir les gens en vie jusqu'à ce qu'ils soient prêts à demander de l'aide.
Sortir de son addiction, "ça peut faire peur, car on est obligé d'affronter ses démons", explique-t-il à l'AFP. "Les gens doivent le faire pour eux-mêmes. Sinon, ils retomberont dans leurs vieux schémas". Dans son cas, il estime que cela lui a sauvé la vie.
O.Pileggi--PV