Mexique: la loi controversée sur l'élection de tous les juges promulguée le jour de la fête nationale
Le président sortant du Mexique Andres Manuel Lopez Obrador a promulgué dimanche, jour de fête nationale, la loi controversée et unique au monde sur l'élection de tous les juges par un "vote populaire", qui inquiète les Etats-Unis, les investisseurs et la magistrature.
"Je vais signer le décret pour la publication de la réforme de la Constitution avec l'objectif d'améliorer le pouvoir judiciaire", déclare dans une vidéo postée dans l'après-midi le président de gauche nationaliste qui termine son mandat unique de six ans avec une popularité record de près de 70%.
A la fin de l'enregistrement, il signe le décret avec à ses côtés la future présidente Claudia Sheinbaum, qui prendra le pouvoir le 1er octobre après avoir remporté l'élection présidentielle à un tour du 2 juin avec près de 60% des voix.
Tous deux sont les figures de proue du Mouvement pour la régénération nationale (Morena), qui dispose également de la majorité des deux-tiers au congrès des députés et s'en approche d'une voix au Sénat, ce qui a permis l'adoption rapide de la réforme de la Constitution.
Dans la vidéo publiée sur son compte X, AMLO a justifié la refonte du pouvoir judiciaire, qui représente d'après Washington un "risque" pour la démocratie mexicaine et une "menace" pour la relation commerciale bilatérale.
"Nous avons besoin que la justice parvienne à tout le monde, qu'il n'y ait pas de corruption dans le pouvoir judiciaire, que les juges, les magistrats, les ministres (membres de la Cour suprême, NDLR) appliquent au pied de la lettre le principe selon lequel rien n'est en marge de la loi, ni personne n'est au-dessus des lois", a-t-il dit.
Le président sortant a plaidé pour "un véritable état de droit" en signant le décret le jour de la fête nationale de l'Indépendance.
- "Aspirant dictateur" -
En soirée, le président lancera devant la foule réunie au pied du palais national sur Zocalo - la plus grande place d'Amérique latine - le dernier "cri" de son mandat, célébrant le début de la lutte vers l'indépendance en 1810.
Avec la réforme, le Mexique deviendra le premier pays au monde à élire tous ses juges par vote populaire, y compris ceux de la Cour suprême, ainsi que certains magistrats.
Près de 7.000 fonctionnaires judiciaires - dont environ 1.6000 juges fédéraux - vont être élus en 2025 et 2027.
La réforme du pouvoir judiciaire réduit également le nombre de juges de la Cour suprême de onze à neuf, tandis que leur mandat passe de 15 à 12 ans.
Sur le compte du président, sa promulgation a de nouveau suscité des réactions tranchées de la part des "Amlovers" (surnom des soutiens du président) et de ses adversaires.
"Honte au président aspirant dictateur", a commenté Carolina Beauregard, qui se présente comme "catholique" et membre du Parti d'action nationale (PAN, opposition de droite libérale-conservatrice).
"La réforme du pouvoir judiciaire est l'un des changements les plus importants dans notre Constitution" qui permet de détruire "le refuge de nombreux corrompus conservateurs", écrit pour sa part Jimenita (@Jime2002), qui se présente comme "Obradoriste".
Des adversaires de la réforme ont fait irruption dans l'hémicycle lors du débat mardi au Sénat pour bloquer son approbation. La session s'est poursuivie dans l'ancien siège du Sénat.
La réforme inquiète les milieux d'affaires, au moment où l'économie mexicaine s'essouffle (croissance révisée à la baisse pour 2024 de 2,4 à 1,5%, recul de la Bourse de 2,8% en août, affaiblissement du peso face au dollar).
La réforme "menacera la relation commerciale historique que nous avons bâtie, qui repose sur la confiance des investisseurs dans le cadre légal du Mexique", s'est inquiété l'ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, Ken Salzar, homme de confiance du président américain Joe Biden, ancien membre du Sénat américain et de l'administration Obama.
En 2023, le Mexique est devenu le premier partenaire commercial des Etats-Unis, devant la Chine.
Douzième économie mondiale, le Mexique est aussi gangréné par la violence de la délinquance organisée (narcotrafic, migrants, extorsion...).
Dans un pays qui enregistre quelque 30.000 homicides par an, la justice actuelle souffre d'une quasi-totale inefficacité, d'après l'ONG Impunité Zéro: "pour 100 délits, seuls 6,4 font l'objet d'une plainte, dont 14% sont éclaircis. Cela veut dire que la probabilité d'élucider un délit commis dans notre pays est de 0,9%."
B.Cretella--PV