Sortie mondiale de "Patriote", mémoires posthumes de l'opposant russe Alexeï Navalny
Beaucoup d'ironie pour décrire son châtiment, des centaines de pages pour expliquer son combat. "Patriote", les mémoires posthumes d'Alexeï Navalny, est sorti mondialement mardi, huit mois après la mort en prison, à 47 ans, du principal opposant au président russe Vladimir Poutine.
"Quelle est la probabilité que je sois encore vivant à midi ? Je n'en sais rien. Six sur dix ? Huit sur dix ? Peut-être même dix sur dix ? Je ne cherche pas à éluder la question ni à fermer les yeux, ou à faire comme si le danger n'existait pas. Mais un jour, j'ai pris la décision de ne plus avoir peur."
La quatrième de couverture des mémoires d'Alexeï Navalny, présentées comme un "évènement éditorial international", ne rend pas forcément grâce au ton d'un livre mêlant lucidité et légèreté, dans lequel l'opposant se raconte simplement, de son goût pour les dessins animés à son amour pour sa femme.
Fils d'un militaire et d'une "économiste", Alexeï Navalny grandit en URSS, où les pénuries sont courantes et où l'absence de chewing-gum incarne à ses yeux d'enfant le "symbole de la supériorité d'autres régions du monde sur l'Union soviétique".
Puis à son adolescence, l'URSS se disloque en 1991 et la Russie se convertit à marche forcée au libéralisme. Des oligarques s'approprient des pans entiers de l'économie, et Alexeï découvre dès son entrée à l'université les professeurs qu'on achète et l'omniprésente corruption.
- Corruption russe -
Il dit perdre toute illusion sur l'élite politique. Le président des années 1990, Boris Eltsine, est qualifié de "malhonnête", d'"alcoolique entouré d'escrocs cyniques". Dmitri Medvedev, qui relaiera Vladimir Poutine au Kremlin entre 2008 et 2012 n'est pour Navalny "pas seulement un crétin, mais un type corrompu jusqu'à la moelle".
Quant à Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 1999, il affirme "le détester", "pas seulement parce qu'il a cherché à me tuer ou qu'il a mis mon frère en prison", mais "parce qu'il a volé à la Russie les vingt dernières années" à force d'autoritarisme et de prévarication.
Navalny, dans ce livre, raconte son engagement dans la lutte contre la corruption, et la répression qu'il subit en retour. La censure et son recours aux médias en ligne pour la contourner. Son entrée en politique, ses premières détentions. Ses condamnations. Et le soutien populaire dont il bénéficie.
En 2020, il est victime lors d'un déplacement en Sibérie d'un empoisonnement à l'agent neurotoxique qui lui cause "18 jours de coma, 26 jours de soins intensifs et 34 jours d'hôpital", ainsi qu'une longue convalescence après son évacuation en Allemagne. Il ne sait plus parler, écrire. "Mes mains ne m'obéissaient pas", "il me restait à réapprendre à marcher correctement".
Il choisit pourtant de rentrer en Russie en janvier 2021, où il est arrêté dès son atterrissage à Moscou.
Et l'opposant de raconter les brimades en prison, les refus de soin dont il dit être victime alors que son dos et l'une de ses jambes sont "en piteux état". La grève de la faim qu'il observe 25 jours durant pour finalement obtenir d'être examiné par des médecins civils.
Mais aussi la surveillance continuelle dont il explique faire l'objet, et le placement à l'isolement.
- "Torture" -
A partir d'août 2022, on l'enferme à de multiples reprises au "Shizo", un "trou noir en béton" où il fait parfois "si chaud qu'on peut à peine respirer" mais qui le plus souvent s'apparente à "une cave froide et humide", "un lieu de torture" où l'on passe "constamment de la musique à plein volume".
En 2023, narre-t-il, on place dans la cellule voisine "un fou furieux", qui passe "quatorze heures par jours et trois par nuit" à pousser des hurlements qui font "gonfler les veines du cou".
En décembre 2023, Alexeï Navalny est transféré dans une colonie pénitentiaire au-delà du cercle arctique.
Le froid y est si intense qu'"on peut marcher plus d'une demi-heure (dehors) à condition d'être sûr de pouvoir se faire repousser un nez, des oreilles et des doigts", plaisante-t-il début janvier.
Le 16 février 2024, l'opposant de 47 ans est déclaré mort, dans des circonstances troubles. Ses proches accusent l'Etat russe de l'avoir tué.
"Ce sont des livres qu'il est important de publier", commente pour l'AFP Caroline Babulle, de la maison d'édition Robert Laffont, qui a acheté les droits de l'ouvrage en français.
Quelque 60.000 exemplaires ont selon elle été imprimés dans un premier temps en français, pour des centaines de milliers dans le monde. "Patriote" sort simultanément dans "des dizaines de pays et dans plus de vingt langues", postait récemment sur X la veuve de l'opposant Ioulia Navalnaïa.
"+Patriote+ en dit moins sur la politique de Navalny que sur sa décence fondamentale, son sens de l’humour ironique et son stoïcisme (surtout) joyeux dans des conditions qui aplatiraient quelqu'un d'autre", souligne le New York times.
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M.Jacobucci--PV