BD: attaqué en justice, le nouvel album de Gaston Lagaffe est "suspendu"
Lagaffe va-t-il renaître ? Sous le coup d'un procès, l'éditeur belge de BD Dupuis a décidé de différer à l'an prochain au plus tôt son projet de sortie d'un nouvel album de Gaston Lagaffe, combattu par la fille du dessinateur Franquin.
L'annonce de "la suspension" de cette parution a été faite lundi à l'occasion d'une audience devant le tribunal de Bruxelles, saisi par Isabelle Franquin, la fille du dessinateur belge décédé en 1997.
Mme Franquin refuse que le personnage star de son père revive sous les traits d'un autre dessinateur, projet des éditions Dupuis qui ont confié le crayon au Canadien Delaf (Marc Delafontaine de son vrai nom).
Des personnages de légende comme Astérix, Lucky Luke ou encore plus récemment Corto Maltese, relancé par les éditions Casterman en 2021, ont vécu une renaissance après la mort de leur créateur.
"Son papa a répété de manière continue, pendant des années, qu'il ne voulait en aucun cas que Gaston Lagaffe soit repris par un autre dessinateur après sa mort", a affirmé Martine Berwette, avocate d'Isabelle Franquin, devant le tribunal.
Il s'agit d'"un droit moral inaliénable" qu'est habilitée à exercer celle qui est l'unique ayant droit d'André Franquin, selon l'avocate.
A l'inverse, les éditions Dupuis estiment être propriétaires des droits patrimoniaux sur les personnages de Franquin, via le rachat en 2013 de la société Marsu Productions avec laquelle le créateur de Lagaffe avait conclu un accord de cession en 1992.
Créant l'événement dans le monde de la BD franco-belge, Dupuis avait annoncé à la mi-mars au festival d'Angoulême la sortie en octobre prochain d'un nouvel album intitulé "Le Retour de Lagaffe".
Lundi, son avocat Alain Berenboom a toutefois annoncé que l'éditeur acceptait de différer son projet: "on n'a pas envie de faire la guerre, on veut un débat serein" avec Mme Franquin, a-t-il expliqué.
D'une part, a rappelé Me Berenboom, toute prépublication dans le journal de Spirou d'une nouvelle aventure de Lagaffe (une planche du futur album, ndlr) est suspendue.
Cela revient selon lui à vider de sa substance l'action en référé intentée fin mars par la plaignante devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles.
- "Souci d'apaisement" -
D'autre part, l'album lui-même,qui serait le 22e opus de Gaston Lagaffe, ne sortira pas avant 2023, ce qui laisse le temps de trancher le litige au fond, au terme d'un arbitrage privé.
"Nous sommes d'accord pour reporter la prépublication des planches de Gaston dans Spirou et l'album Gaston par Delaf jusqu'au début de l'année 2023, c’est-à-dire après que l'arbitre ait rendu sa décision", a assuré à l'AFP Me Berenboom.
L'arbitre choisi par les deux parties devrait rendre sa décision "fin septembre", dans un délai d'un mois après des plaidoiries à huis clos prévues fin août. Ce jugement ne sera pas susceptible d'appel, selon les avocats des deux camps.
En attendant cette procédure, la juge unique statuant en référé à Bruxelles a annoncé lundi après des courtes plaidoiries qu'elle rendrait une ordonnance "au plus tard le 3 juin" actant la suspension des projets de Dupuis.
"Il faut acter cet engagement à respecter ce qu'on demande exactement, la juge va le faire", a commenté Me Berwette après l'audience.
L'avocate s'est félicitée que Dupuis doive "s'incliner" dans cette procédure en urgence qui consistait à faire interdire "toute promotion et prépublication" de nouvelles aventures de Lagaffe.
Dans son numéro daté du 6 avril l'hebdomadaire Spirou avait publié un premier gag de Lagaffe dessiné par Delaf, ce qu'avaient déploré les avocats d'Isabelle Franquin.
Les éditions Dupuis avaient alors annoncé suspendre la suite des prépublications "par souci d'apaisement".
La fille de Franquin a reçu le soutien de plusieurs auteurs, dont Philippe Geluck, dans une lettre ouverte accusant le projet de Dupuis de "bafouer la volonté" du créateur de Lagaffe.
"En agissant ainsi (...) vous proposez de revenir à une époque où la volonté du créateur était soumise au bon vouloir des détenteurs des droits commerciaux et où un ersatz – ou produit dérivé – se présente comme une œuvre originale", dénonce ce texte.
D.Vanacore--PV