Viols: quand l'hôpital préserve les preuves pour les victimes ne portant pas plainte
Après un viol, de nombreuses victimes sont trop fragilisées pour porter plainte. Un dispositif utilisé à Paris permet de recueillir à l'hôpital des preuves de l'agression et de les conserver pour étayer leur dossier si elles saisissent la justice plus tard.
"Juste après l'agression, l'état de stress aigu de la victime fait que c'est souvent compliqué pour elle de déposer plainte, alors que c'est au contraire le moment où il faudrait faire vite pour recueillir des preuves", explique la psychiatre Sarah Dauchy, responsable médicale de la Maison des femmes de l'Hôtel-Dieu à Paris.
Le taux de classement sans suite par un magistrat pour motif d'"infraction insuffisamment caractérisée" (manque d'élément probatoire) était de 59% en 2023 pour les viols, selon la Chancellerie, qui précise que le nombre de personnes mises en cause pour viols est passé de 11.361 à 26.672 personnes de 2015 à 2023.
Quand une victime se rend aux urgences après un viol, elle reçoit un traitement anti-VIH et une contraception d'urgence. Si elle veut déposer plainte, elle est orientée vers un commissariat. Ensuite sera organisé un examen par un médecin légiste pour recueillir des preuves.
Si elles ne veulent pas porter plainte immédiatement, les femmes habitant ou agressées à Paris peuvent bénéficier de ce recueil de preuves à la Maison des femmes de l’Hôtel-Dieu, structure de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) que doit visiter lundi le Premier ministre Michel Barnier pour la Journée internationale contre les violences faites aux femmes.
- Dispositif pérennisé -
Un médecin légiste de l’Unité médico-judiciaire (UMJ) recueille des éléments qui pourront étayer une procédure judiciaire ultérieure: traces d'ADN de l'agresseur, sperme, vêtements, traces de lésion, prélèvements toxicologiques....
"Ces prélèvements, qui peuvent être recueillis jusqu'à cinq jours après l'agression, ne peuvent être réalisés qu'avec une compétence de médecine légale", explique Candie Grangé, sage-femme et coordinatrice de la Maison des femmes.
Habitués à travailler pour les tribunaux, ces médecins légistes vont porter "une attention particulière à rechercher des lésions dans des zones parfois peu examinées dans les soins urgents, comme le cou, les bras, qui auront un grand intérêt dans une procédure pénale", précise le Dr Charlotte Gorgiard, qui dirige l'UMJ de l'Hôtel-Dieu.
Ces preuves seront conservées trois ans pour laisser le temps à la victime de "cheminer" vers une éventuelle procédure judiciaire.
Une circulaire interministérielle encourageait en 2021 le déploiement de ce dispositif, expérimenté dans plusieurs villes et à Paris depuis fin 2022 où il a été pérennisé en octobre, via la signature d’une convention entre le parquet de Paris, la préfecture de police et l’AP-HP. Depuis 2022, à Paris, 46 victimes y ont eu recours et 14 ont déposé plainte, selon la Maison des femmes.
- "Le cerveau disjoncte" -
De nombreuses raisons expliquent qu’une victime peut avoir du mal à porter plainte.
D'abord "le vécu de honte, et l'angoisse qui amène à éviter le récit du viol, ou même à ne plus y penser", explique le Dr Dauchy. Ensuite, lorsque l'agresseur est un membre de son entourage professionnel, un autre étudiant, un "ami", "la peur d’être celle qui détruit l’équilibre du groupe familial, amical, professionnel", détaille-t-elle.
L'inversion de culpabilité aussi, qui amène la femme à se demander si elle n'a pas provoqué ou permis l'acte.
Certaines, en raison de mécanismes de "sidération ou de dépersonnalisation, ont été incapables de bouger pendant l'agression, ou avaient l’impression de se regarder de l’extérieur". "C’est un mécanisme psychique de défense face à une situation très stressante ou violente: le cerveau disjoncte", explique la psychiatre.
Parfois, ne s’étant pas débattues, n’ayant pas crié, elles se sentent coupables et se disent qu’elles ne seront pas crues. A la Maison des femmes, un psychiatre ou psychologue leur explique les mécanismes à l’œuvre, ce qui les "déculpabilise".
"Nous prenons en charge le plus tôt possible les conséquences psychiques de la violence, qui justement les empêchent de déposer plainte. Ne pas oser parler, ne pas être cru au contraire aggrave les conséquences psychiques de la violence", explique le Dr Dauchy.
Quelques jours, semaines ou mois plus tard, certaines ont pu assez reprendre confiance en elles pour oser s'opposer à l’agresseur et sont prêtes à déposer plainte. L'analyse des éléments conservés permettra alors, peut-être, d'éviter le seul "parole contre parole".
F.Amato--PV