RDC: à Lubero, sous la menace du M23, la peur et la défiance
Un calme trompeur règne dans les rues de Lubero, niché au creux d'immenses collines boisées où s'accrochent des filets de brume: la cité de quelque 100.000 habitants, dans l'est de la RDC, est menacée par une offensive des rebelles du M23.
"L'ennemi est juste à côté", lâche à l'AFP Crispin Hinga, bourgmestre de la localité de la province du Nord-Kivu. La ligne de front n'est plus qu'à une cinquantaine de kilomètres et "la plupart des gens ont déjà fait leurs valises", poursuit-il.
Sous une pluie froide, des militaires des forces armées congolaises (FARDC) refoulés lors des derniers combats arpentent les rues boueuses.
Le "Mouvement du 23 mars" (M23), groupe armé soutenu par le Rwanda et son armée, a progressé de plusieurs dizaines de kilomètres ces derniers jours, faisant craindre un effondrement du front. Depuis novembre 2021, la rébellion s'est emparée de vastes pans de territoire dans l'est de la RDC, riche en ressources naturelles et déchiré depuis 30 ans par des conflits.
La dernière offensive a été lancée peu avant l'organisation à Luanda d'un sommet censé rétablir la paix. Faute d'accord, la rencontre des présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame prévue dimanche dernier a finalement été annulée. Et les combats se poursuivent.
Pour l'heure, dans le centre de Lubero, les commerçants continuent à tenir leurs étals. Des bandes de gamins jouent entre les anciennes bâtisses de briques.
"Il y a un peu de psychose parmi la population, mais l'administration continue à fonctionner", tente de rassurer l'administrateur militaire du territoire Alain Kiwewa.
- "Ils pillent" -
Au moins 100.000 déplacés ont fui les combats depuis le 2 décembre, selon l'ONU. Certains sont logés chez l'habitant, d'autres ont décidé de continuer plus loin vers le nord.
"J'ai l'air calme, mais intérieurement, je ne suis pas calme", avoue Mumbere Wangavo, représentant d'une chefferie locale réfugié avec sa famille à Lubero. Il est retourné il y a peu dans son village de Mbingi "pour amener un peu de nourriture" à ceux restés là-bas. Les forces gouvernementales sont accusées de mettre les villages à sac pendant leur retraite.
"Ils pillent. Dans notre village, toutes les maisons ont été vidées, il ne reste rien", raconte Jeanne Masika, une déplacée. "Nous avons peur du M23 et de nos militaires".
La plupart des personnes interrogées par l'AFP n'osent pas témoigner à visage découvert dans la ville remplie de FARDC. Beaucoup estiment que les chefs militaires sont responsables de la déroute des soldats congolais.
"Jusqu'où allons-nous être humiliés?" peste un responsable local sous couvert d'anonymat.
"Ils envoient nos militaires au front, puis ils les abandonnent et ils doivent battre en retraite à pied sur des dizaines de kilomètres. Il ne faut pas s'étonner qu'ils aillent piller", estime un autre, suscitant l'approbation d'un groupe d'habitants.
L'armée congolaise a annoncé vendredi un vaste remaniement de son état-major.
- "Des traîtres" -
Pour Assa Paluku Mahamba, représentant d'une coalition de groupes wazalendo, nom signifiant "patriotes" en Swahili et désignant une nébuleuse de milices locales pro-Kinshasa, "il y a des traîtres dans notre armée".
Mais certaines milices sont elles-mêmes soupçonnées d'avoir replié leurs troupes pour faciliter l'avancée du M23.
Dans ce climat de défiance et de suspicion, alimenté par des relais du M23 inondant les réseaux sociaux et les téléphones de fausses informations alarmistes, nombre d'habitants de Lubero se disent persuadés que des "informateurs de l'ennemi" ont infiltré la ville.
Défenseurs des droits et représentants de la société civile disent recevoir des menaces de plus en plus fréquentes à mesure que le M23 progresse sur le terrain. Le mouvement rebelle est réputé museler toute voix discordante dans les zones sous contrôle.
Un représentant de la société civile ouvre son téléphone: "Tu as déjà fui?" raille dans un message l'un de ces supposés informateurs du M23, ancien habitant de la ville.
"Ils savent très bien qui nous sommes", s'inquiète un représentant d'une association locale qui refuse de donner son nom.
"S'ils arrivent ici, je serai forcé de faire mes valises".
A.Rispoli--PV