Pallade Veneta - Les Afro-Américains, premières victimes du fentanyl à Washington

Les Afro-Américains, premières victimes du fentanyl à Washington


Les Afro-Américains, premières victimes du fentanyl à Washington
Les Afro-Américains, premières victimes du fentanyl à Washington / Photo: Agnes BUN - AFP Photo

Lorando Duncan porte des T-shirt à manches longues, car ses bras portent des stigmates qu'il n'aime pas montrer. Ceux de la drogue qu'il s'injecte dans les veines depuis des décennies.

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A 65 ans, cet Afro-Américain né à Washington a consommé de l'héroïne quasiment toute sa vie d'adulte. Mais l'arrivée du fentanyl, un opiacé de synthèse ultra-puissant et addictif, a tout changé.

"Le fentanyl a tué beaucoup de mes amis", raconte-t-il à l'AFP sous une image de la vice-présidente noire Kamala Harris qu'il a accrochée dans son appartement d'Anacostia, l'un des quartiers les plus pauvres de la capitale américaine. "Presque toutes les deux semaines, j'entends parler de quelqu'un que je connais qui a fait une overdose de fentanyl."

Aujourd'hui, cet homme maigre aux cheveux blanchissants redoute d'être le prochain. "Il faut que j'arrête, parce qu'au bout du compte je vais finir par me tuer. Et je le sais".

A partir de 2014, cette drogue vendue en poudre a peu à peu inondé le marché, du fait de son faible coût de fabrication ne nécessitant pas de cultures mais un simple laboratoire.

En 2021, la ville a connu 426 overdoses fatales par opiacés, soit cinq fois plus qu'en 2014 --et bien plus que les morts par armes à feu. Cette année-là, 95% de ces décès étaient liés au fentanyl, et 85% étaient des personnes noires. Comme Lorando, la majorité avaient entre 50 et 69 ans.

Les consommateurs réguliers d'héroïne se sont retrouvés en première ligne de cet "empoisonnement" de l'approvisionnement, comme le qualifient les experts.

"Un jour, j'ai acheté de la drogue à un type que je connaissais, sans savoir que c'était du fentanyl et j'ai perdu connaissance", raconte Lorando, ancien prisonnier vivant aujourd'hui d'allocations pour personnes handicapées. "Quand je suis tombé, il faisait jour et quand je me suis réveillé, il faisait nuit. Dieu m'a réveillé cette fois-là."

Tombé sur une hanche, il marche désormais avec une canne.

Et n'a d'autre choix que de consommer le fentanyl vendu, parfois jusqu'à trois fois par jour, pour se sentir "normal" et ne pas expérimenter de manque le rendant malade, jusqu'à vomir.

Aujourd'hui, "tout le monde utilise du fentanyl pour couper la drogue, la rendre puissante", explique-t-il. Le problème est que "vous ne savez jamais sur quoi vous allez tomber. C'est comme jouer à la roulette russe."

- Cartons de Narcan -

A Washington, longtemps surnommée "Chocolate city" du fait de sa large population afro-américaine, les personnes noires mouraient déjà deux fois plus d'overdoses que les blanches en 2010, selon une étude. En 2019, c'était dix fois plus. Pour les deux périodes, cette disparité était plus élevée que dans tous les Etats du pays.

Quelques associations de terrain tentent tant bien que mal de combattre les ravages du fentanyl. Tyrone Pinkney, 33 ans, travaille depuis dix ans pour l'une d'elles, Family and Medical Counseling Service.

Il sillonne la ville, surtout les quartiers "chauds", à bord d'un camping-car. Au sol, une caisse contenant des seringues sales, récupérées auprès des visiteurs pour leur en fournir des propres. Et sur les banquettes, des cartons de Narcan, le nom de marque de la naloxone, un antidote capable de bloquer l'effet des opiacés --et ainsi sauver une personne en train de faire une overdose.

Tablette à la main, Tyrone Pinkney interroge les quelques dizaines de personnes se présentant chaque jour, vérifiant par exemple si elles ont été testées pour le virus du sida.

Ces distributions "ne les empêchent pas de faire ce qu'ils font mais au moins ils peuvent le faire en sécurité", explique cet imposant gaillard.

- "Situation d'urgence" -

L'association a aidé plus de 2.500 personnes en 2021 et a distribué plus 200.000 seringues, selon Mark Robinson, coordinateur régional.

"Il s'agit d'une situation d'urgence", témoigne-t-il auprès de l'AFP. "Une épidémie d'opiacés", qui s'ajoute "à une situation d'urgence médicale qui pré-existait déjà chez les personnes de couleur" et à la pandémie de Covid-19, ayant encore davantage isolé les populations fragiles.

Pour beaucoup, les démarches nécessaires pour accéder aux traitements (comme la méthadone ou la buprénorphine, des opiacés jouant le rôle de substituts), restent trop complexes. Et il est souvent plus facile d'obtenir de la drogue, que de l'aide.

"Nous avons vraiment travaillé sur les questions d'accès", a assuré à l'AFP Barbara Bazron, chargée de cette crise à la mairie de Washington. Plus besoin de passer par un centre de répartition pour ces prescriptions, explique-t-elle.

Les 70 entités agréées peuvent directement accueillir de nouveaux patients. Plus de 5.000 personnes sont actuellement inscrites à ces programmes de soins.

La mairie a aussi mis l'accent sur la distribution gratuite de naloxone (56.000 kits en 2021) et de tests permettant de détecter si la drogue achetée contient du fentanyl.

Quid d'une salle d'injection, comme récemment mise en place à New York, pour consommer en lieu sûr? Selon Barbara Bazron, la question est à l'étude: "Rien n'est écarté".

U.Paccione--PV