Face à la Cour suprême, Biden ne peut que s'indigner, et espérer un sursaut électoral
Il a fustigé l'"idéologie extrémiste" guidant la Cour suprême et presque supplié ses contemporains de voter pour défendre des "libertés" menacées, mais au-delà des mots, Joe Biden, tout président qu'il est, ne peut pas grand-chose pour défendre le droit à l'avortement.
Le démocrate de 79 ans, fervent catholique devenu défenseur du droit à l'interruption volontaire de grossesse, a misé vendredi sur la solennité et la brièveté, après le séisme déclenché par la plus haute juridiction américaine, quitte à frustrer les journalistes qui souhaitaient une réponse plus détaillée et concrète.
Dans une volte-face historique, la Cour suprême a enterré le droit constitutionnel à l'avortement et une poignée d'Etats en ont profité pour bannir immédiatement les interruptions de grossesse sur leur sol.
Prenant la parole dans le hall d'entrée de la Maison Blanche, sous le regard d'un petit groupe de collaboratrices aux traits tirés, rassemblées pour l'occasion, le président n'a pas mâché ses mots.
La Cour de neuf juges, à laquelle Donald Trump a donné pour longtemps une large majorité conservatrice et acquise aux idées de la droite religieuse, a fait une "erreur tragique" résultant d'une "idéologie extrémiste", a lâché Joe Biden.
La plus haute cour américaine "ramène littéralement l'Amérique 150 ans en arrière", et surtout, elle pourrait ne pas s'arrêter là, a-t-il averti.
- "Dangereuse" -
Rappelant que l'un des magistrats, le conservateur Clarence Thomas, plaide publiquement pour revoir des jurisprudences fondant le droit à la contraception ou au mariage pour tous, le patron du camp démocrate a asséné: "La Cour nous emmène sur une voie extrême et dangereuse".
Mais à lui tout seul, Joe Biden, malgré toute l'image de puissance du président américain, ne peut pas grand-chose.
"Le seul moyen" de revenir sur l'arrêt de la Cour "est que le Congrès passe une loi fédérale", valant pour tout le territoire, Etats conservateurs compris, a-t-il dit. Or les démocrates n'ont pas une majorité suffisante.
C'est pourquoi, a plaidé le président, "les électeurs doivent se faire entendre" et porter au pouvoir, lors des élections législatives prévues en novembre, une forte majorité démocrate susceptible de restaurer ce droit qui existait depuis 1973 sur tout le territoire.
"Les libertés personnelles seront sur les bulletins" de vote, a-t-il dit, alors que les sondeurs prédisent jusqu'ici à son parti une cuisante défaite et que certains républicains promettent déjà, en cas de victoire, une loi fédérale restrictive sur l'IVG.
Joe Biden, malmené dans les sondages, confronté à une poussée d'inflation et au risque d'une récession, veut déplacer la campagne sur un autre terrain que celui de l'économie: celui des valeurs.
Il a promis vendredi de faire "tout ce qui est en (son) pouvoir" pour préserver un peu, par les outils réglementaires et les décrets, l'accès à l'IVG.
Mais Joe Biden a été avare en détails, évoquant seulement le droit des Américaines à voyager pour recevoir des soins - y compris pour un avortement - et l'accès aux pilules abortives.
Pas un mot sur d'autres revendications d'une partie de la gauche, comme par exemple la construction de cliniques pratiquant des IVG sur des terrains fédéraux dans les Etats les plus conservateurs, ou une réforme de la Cour suprême.
Les journalistes n'ont de toute façon pas pu l'interroger.
- Une "exception" -
Son allocution finie, Joe Biden leur a tourné le dos sans s'attarder, alors qu'il le fait régulièrement, pour des échanges à la volée.
La Maison Blanche a même annulé le briefing quotidien de sa porte-parole Karine Jean-Pierre, ce qui a suscité les protestations de la presse.
Les journalistes reverront Joe Biden samedi matin, lorsqu'il embarquera pour une tournée de plusieurs jours en Europe.
A l'occasion des sommets du G7 et de l'Otan, celui qui se voit volontiers en "leader du monde libre", en grand champion des démocraties, fera face à des dirigeants occidentaux dont certains ont publiquement dénoncé la décision de la Cour suprême.
Ironie du calendrier, il se rend d'abord en Allemagne, pays qui vient de supprimer une loi restrictive sur l'IVG. Le texte, remontant à la période nazie, limitait l'information sur l'avortement et avait entraîné la condamnation de plusieurs gynécologues.
Joe Biden a lui-même reconnu vendredi qu'avec la décision de la Cour suprême sur l'IVG, l'Amérique était devenue une "exception" parmi les pays développés.
I.Saccomanno--PV