Au Brésil, un prêtre "rebelle" redonne espoir aux sans-abri
Des dizaines de personnes entrent par la porte latérale d'une église de Sao Paulo, en quête de nourriture et de quelques mots de réconfort. Le père Julio Lancellotti s'assure que personne ne sorte l'estomac ou le coeur vides.
Pour le pape François, ce Brésilien descendant d'immigrés italiens est un "messager de Dieu", qui "oeuvre toujours pour les exclus, les pauvres".
À l'image de l'abbé Pierre en France au siècle dernier, ce prêtre de 73 ans au caractère bien trempé est devenu le symbole du combat pour la défense des quelques 40.000 sans-abri qui vivent dans la plus grande métropole d'Amérique Latine.
Quitte à s'attirer les foudres de l'extrême droite, ainsi que des menaces pour ses critiques envers les autorités et les forces de l'ordre.
Depuis 37 ans, il est le curé de la paroisse Saint-Michel Archange de Mooca, quartier populaire de l'est de Sao Paulo, une mégalopole de 12 millions d'habitants "pleine d'apartheids" selon lui.
Chaussé de simples sandales marron, le père Lancelotti ne tient pas en place.
En ce début d'hiver austral, il a fort à faire pour éviter que le froid ne tue.
C'est arrivé devant ses yeux, en mai, quand un sans-abri est décédé après avoir fait un malaise dans la file d'attente d'un centre de distribution de nourriture, durant la vague de froid historique du mois de mai.
"La situation s'est aggravée avec l'augmentation de la misère" due à la crise du Covid-19. "Il y a de plus en plus de familles qui vivent dans la rue, des mères avec leurs enfants", confie à l'AFP le prêtre aux fines lunettes et aux rares cheveux blancs qui entourent son crâne dégarni.
- "Un vrai père" -
Chaque matin, après avoir célébré la messe de 7h00, le père Lancellotti troque sa soutane pour un tablier et pousse un chariot de supermarché plein de dons reçus pour un centre d'accueil.
Il participe lui même au service du petit déjeuner de centaines de personnes frappées par la misère et la détresse sociale, notamment des membres de la communauté LGBTQIA+ rejetés par leurs familles.
"On n'aide que ceux qu'on connaît, et on n'aime que les gens avec qui on passe du temps", lance le prêtre.
"C'est comme un vrai père. Il donne des conseils, il nous remonte le bretelles. C'est un ange", dit Caua Victor, sans-abri de 20 ans.
La pandémie a creusé les inégalités déjà abyssales au Brésil, où plus de 30 millions de personnes souffraient de la faim l'an dernier (une augmentation de 73% par rapport à 2020), selon les données du Réseau brésilien de recherche sur la souveraineté et sécurité alimentaire (Rede Penssan).
Le père Lancellotti s'est interposé à plusieurs reprises face aux forces de l'ordre, notamment lors d'opérations d'expulsions dans des immeubles désaffectés occupés par des sans-abri.
En février 2021, il a cassé avec une masse des blocs de béton installés par les autorités pour éviter que des personnes dorment sous un pont.
- "La vie est un combat -
Taxé de "voyou" par Luciano Hang, magnat de la grande distribution et soutien indéfectible du président d'extrême droite Jair Bolsonaro, le prêtre s'est donné un leitmotiv: "persévérer et résister".
Cet "esprit rebelle" ne date pas d'hier. À 19 ans, Julio Lancellotti avait été expulsé du séminaire parce qu'il "exprimait toujours (à haute voix) sa pensée critique", a révélé une de ses proches.
Il a donc décidé d'étudier la pédagogie, est devenu professeur, et n'a été ordonné prêtre que bien plus tard, à 36 ans.
Le religieux, qui a rencontré à plusieurs reprises l'ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), favori de la présidentielle d'octobre contre Jair Bolsonaro, s'est toujours élevé contre "les effets du système capitaliste néo-libéral".
Au début des années 1990, il a fondé la Casa Vida, centre d'accueil où vivent encore actuellement plusieurs dizaines d'enfants atteints du sida, orphelins ou abandonnés par leurs parents.
"Pendant longtemps, le mot combat me dérangeait. Mais ce n'est plus le cas actuellement (...) La vie est un combat", a-t-il écrit dans son livre "Il y avait une pierre au milieu du chemin", publié l'an dernier.
S.Urciuoli--PV