Pallade Veneta - Le désespoir plus fort que la peur pour les migrants du Rio Grande

Le désespoir plus fort que la peur pour les migrants du Rio Grande


Le désespoir plus fort que la peur pour les migrants du Rio Grande
Le désespoir plus fort que la peur pour les migrants du Rio Grande / Photo: CHANDAN KHANNA - AFP

Selvin Allende n'en peut plus. Avec sa fille d'un an sur les épaules et son épouse enceinte, il finit de traverser le Rio Grande, de la ville mexicaine de Piedras Negras vers sa jumelle américaine Eagle Pass, au Texas. Une traversée périlleuse que des dizaines de milliers de migrants entreprennent tous les ans à la recherche d'un avenir meilleur.

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"J'ai eu peur pour ma fille dans le fleuve. Je me sens fatigué, exténué, mais avec le rêve de pouvoir travailler si les services d'immigration nous écoutent avec le coeur", confie ce Guatémaltèque de 30 ans.

La famille a quitté son domicile, au Honduras, à cause de la délinquance et du manque d'emplois, et a accompli un long voyage en train et à pied pour arriver ici.

Un calvaire qui tourne parfois à la tragédie, comme pour les 53 migrants décédés après avoir suffoqué dans un semi-remorque à San Antonio.

Au côté de Selvin Allende, son épouse marche d'un air douloureux, les yeux mi-clos, vers la police des frontières qui les attend sous l'un des ponts qui relient le Mexique aux Etats-Unis. En tout et pour tout, leurs affaires remplissent deux sacs plastiques.

Les agents passent leurs passeports en revue, ainsi que ceux d'autres personnes récemment arrivées, et les embarquent pour examiner leurs demandes d'asile.

La scène se répète plusieurs fois par jour sous le regard résigné des forces de l'ordre. "Ça ne s'arrête jamais. Ils peuvent traverser n'importe où et n'importe quand", dit un soldat de la Garde nationale souhaitant rester anonyme.

Les renforts à la frontière ces derniers mois n'ont pas endigué les arrivées de migrants sans visa. En mai, les autorités ont arrêté plus de 239.000 personnes à la frontière avec le Mexique, un record, même si le chiffre inclut les individus ayant tenté la traversée plusieurs fois.

- "Je pleure de joie" -

Sur la rive mexicaine du Rio Grande, quelques minibus arrivent et repartent, déposant ceux qui traverseront le fleuve.

Il fait 37°C cet après-midi et quelques migrants se rafraîchissent dans l'eau, attendant l'arrivée d'autres candidats à la traversée pour tenter le passage à gué dans ce fleuve aux eaux traîtresses qui ont déjà emporté tant de vies.

Une famille vénézuélienne, cinq hommes, deux femmes et deux enfants, décide que le moment est venu. Leur traversée dure 10 minutes et, au milieu du gué, ils doivent s'accrocher les uns aux autres pour résister aux puissants courants.

Quand ils arrivent côté américain, ils crient de joie avant de se livrer à la police des frontières.

Le soulagement se lit sur tous les visages. Alejandro Galindo, un autre Vénézuélien qui a traversé près d'ici, fait part de son émotion après un périple de 26 jours avec ses deux compagnons.

"Je pleure de joie. Je veux aider ma famille. Au Venezuela, nous n'avions pas d'avenir", confie le jeune de 28 ans.

- Refuge -

Eagle Pass, une ville de 22.000 habitants à 230 km de San Antonio, a appris à vivre avec la présence quotidienne de migrants.

A quelques mètres du pont, les golfeurs sur le gazon jaunâtre ne prêtent aucune attention à ceux qui traversent le fleuve.

Valeria Wheeler, qui dirige un refuge, assiste chaque jour aux défis de l'actuelle vague migratoire.

Ses installations, qui accueillaient 20 migrants par semaine il y a deux ans, en hébergent désormais jusqu'à 600 par jour.

Ceux qui y passent quelques heures profitent de bancs, toilettes et douches dans un grand entrepôt, attendant qu'un proche paie leur billet vers une autre ville.

Leur profil a changé ces derniers temps, explique Valeria Wheeler. Les nouveaux arrivants sont plus pauvres qu'avant, et ont souvent dû marcher depuis le Mexique ou les petits pays d'Amérique centrale.

"Ils arrivent avec des blessures physiques et psychologiques", explique la directrice du refuge, qui n'accueille que ceux qui ont été libérés par les gardes-frontières après avoir échappé au "Title 42".

Cette mesure, héritée de l'ère Trump, permet d'expulser tout migrant dépourvu d'un visa, même les demandeurs d'asile, au prétexte de la pandémie de Covid-19.

Pour ceux qui tentent d'échapper à la police des frontières et à l'expulsion immédiate, la traversée est encore plus dangereuse, et coûtera jusqu'à 10.000 dollars s'ils font appel à un passeur.

"Nous sommes ici pour que les personnes qui arrivent au refuge n'aient pas à vivre la même chose" que les victimes du drame de San Antonio, dit Valeria Wheeler. "C'est pour cela que nous travaillons."

A.Tucciarone--PV