Dangers et précarité dans l'industrie minière artisanale du charbon au Mexique
Pour David Huerta, l'eau est la pire ennemie des mineurs au Mexique. En 2012, il a survécu à un accident similaire à celui qui a englouti dix mineurs dans une cavité du nord du pays dont on est sans nouvelles depuis plus de deux semaines.
De ce jour où il a frôlé la mort, David Huerta se souvient du faisceau de la lampe frontale d'un collègue se dirigeant vers lui en criant de l'"eau ! eau !"
Il a couru à toutes jambes pour sauver sa vie, s'égratignant le corps contre les murs, sa tête heurtant les poteaux de soutènement.
"L'eau est notre pire ennemie", dit l'homme de 35 ans, qui a passé 13 années à travailler dans les mines de Sabinas, dans l'Etat de Coahuila (nord), le plus grand producteur du pays.
Son beau-frère, Sergio Cruz, est l'un des dix disparus de la mine El Pinabete, profonde d'environ 60 mètres, inondée depuis des travaux d'excavation le 3 août. L'eau qui a envahi El Pinabete proviendrait, selon les autorités, d'une mine adjacente, plus grande et abandonnée.
La centaine de sauveteurs impliqués, dont des membres de l'armée, ont depuis pompé sans relâche, 24 heures sur 24, pour faire descendre le niveau de l'eau dans la mine, espérant retrouver les dix disparus qui n'ont jamais donné le moindre signe de vie.
Alors que leurs efforts semblaient porter leurs fruits, jusqu'à permettre à des plongeurs d'explorer l'entrée de la cavité à laquelle on accède par des puits verticaux, une subite remontée du niveau de l'eau au cours du week-end a tari les minces espoirs des proches.
Le niveau mesuré est même supérieur qu'au lendemain de l'accident.
Ne voulant se résoudre à abandonner les recherches, le gouvernement a validé une nouvelle stratégie d'action visant à construire un mur souterrain de séparation avec la mine voisine, en forant puis coulant d'énormes quantités de béton.
- Négligences -
C'est grâce à l'extraction de charbon de ces petites mines, telle que celle d'El Pinabete, construites à la va-vite et aux normes de sécurité laxistes, que tournent les centrales électriques du Mexique.
A Sabinas, 67 entreprises sont enregistrées pour exploiter le filon, selon les chiffres officiels. Entre septembre 2020 et décembre 2021, deux millions de tonnes de charbon ont été extraites.
Le combustible fossile a un coût humain élevé. Selon l'ONG "Familia Pasta de Conchos", du nom de la mine où 65 mineurs sont morts en 2006 dans une explosion et qui fait campagne pour que justice leur soit rendue, environ 3.100 mineurs sont morts dans la région depuis 1883.
Les conditions ont peu changé depuis les débuts de l'extraction du charbon. Aujourd'hui encore, les mineurs travaillent "presque nus" sous terre sous des températures d'environ 35 degrés, sans ventilation adéquate, explique David Huerta, pour un salaire de 150 à 200 dollars par semaine.
Ils passent jusqu'à six heures par jour, leur corps ne peut pas supporter davantage, courbés ou à genoux dans des tunnels exigus, sans équipement de sécurité approprié, même pas le moindre masque pour prévenir les maladies respiratoires.
"La seule chose qu'on leur donne c'est un casque et une lampe", dit Cristina Auerbach, directrice de "Familia Pasta de Conchos". "Et le casque ils le donnent car sinon les mineurs ont nulle part pour fixer leur lampe", raille-t-elle.
Mais pour les mineurs et les spécialistes, la plus grande négligence des employeurs est la méconnaissance de la géologie souterraine.
"Ils n'engagent pas d'ingénieurs, ils ne font pas de calculs, ils ne mesurent pas la production, ils se contentent d'extraire, de vendre et c'est tout", explique Diego Martinez, du centre de recherche en géosciences appliquées de l'université autonome de Coahuila.
Selon M. Martinez, à El Pinabete, personne ne vérifiait les plans ni guidait les manœuvres d'excavation. Les autorités locales ont confirmé qu'aucun suivi des plans n'était réalisé.
La société enregistrée comme propriétaire d'El Pinabete est restée silencieuse.
"Le propriétaire s'en moque tant qu'il fait sortir le charbon", s'indigne David Huerta.
Malgré les risques, l'exploitation minière est, pour nombreux dans la région, la seule source de revenu. "On a toujours travaillé ici (...) il est très difficile de partir", déplore Luis Ontiveros, sans perdre espoir de revoir ses dix collègues en vie.
F.Amato--PV