Cellule interne ou justice? Les partis politiques tiraillés
Cellule interne contre justice, code de déontologie contre code pénal. Dans les affaires de violences faites aux femmes, les partis notamment de gauche, sous pression, s'interrogent sur la pertinence de mettre sur la touche leurs membres dès leur mise en cause publique, en dehors de l'action judiciaire.
C'est la mise en retrait volontaire de Julien Bayou de ses fonctions de secrétaire national d'Europe Écologie-Les Verts et de co-président du groupe à l'Assemblée qui a aiguisé cette question. Son ancienne compagne a dénoncé des violences psychologiques auprès de la cellule interne du parti dédiée aux violences sexistes et sexuelles (VSS).
Le débat fait rage depuis, à gauche comme à droite, chacun dénonçant "un tribunal médiatique", "une partie de ball-trap", un responsable politique "jeté en pâture" ou encore victime d'une "instrumentalisation politique".
Le sujet est sensible et les avis sont très tranchés: attendre que la justice fasse son œuvre ou faire la lumière en interne des partis.
"On est sur une ligne de crête un peu subtile", expliquait Laurence Rossignol, sénatrice PS la semaine dernière. "Nous ne pouvons pas nous référer uniquement à la justice, pas simplement parce que la justice est lente (mais) parce qu'on le sait, une plainte sur dix pour viol aboutit à une condamnation", estimait-elle.
Car "c'est d'abord en interne que ça va se régler", sans attendre une éventuelle sanction pénale. Elle cite le cas de Damien Abad, resté cinq semaines ministre des Solidarités, alors qu'une enquête préliminaire a été ouverte pour tentative de viol, après plusieurs plaintes classées sans suite.
- "Justice de droit privé" -
"Si la justice permettait de régler toujours tous ces cas, ce serait effectivement le plus simple", abondait mardi sur Public Sénat le député LFI Manuel Bompard. Il rappelait qu'"un certain nombre de femmes ne souhaitent pas aller témoigner devant la justice parce qu'elles ont l'impression que leur témoignage ne va pas être pris en compte, qu'elles vont être mal reçues au commissariat".
Une organisation politique doit-elle pallier ces faiblesses, régulièrement dénoncées par les associations ? D'autant plus si elle a placé la lutte contre les VSS et pour le féminisme au centre de ses valeurs ?
Non, répond la majorité. "L'enceinte judiciaire est le seul endroit en démocratie où se rend la justice", soutient le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, critiquant une "justice de droit privé".
Renaissance, le nouveau parti présidentiel, s'apprête justement à renouveler le fonctionnement de sa propre cellule interne contre les VSS, avec l'idée d'éviter une "justice expéditive".
Les affaires pourront être "transmises à la Commission des conflits du mouvement, en vue d’éventuelles sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclusion", explique vendredi dans le Parisien la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa, mais aussi "transmettre à la justice et accompagner vers la plainte".
A droite et à l'extrême droite, on renvoie également à la seule intervention de la justice. Malgré la voix légèrement dissonante de Bruno Retailleau, en campagne pour présider LR, "favorable" à la création d'une cellule d'écoute au sein du parti.
Forcément "imparfaites", de l'aveu des partis qui en comprennent en leur sein, les cellules internes sont censées avoir un devoir d'impartialité et respecter le contradictoire. Comme celles qui existent dans des centaines d'entreprises menant des enquêtes sans intervention de la police ni de la justice.
Mais le respect de la présomption d'innocence n'est pas forcément prioritaire, défendent plusieurs personnalités de la Nupes.
"Il y a une présomption de crédibilité, jusqu'à ce que cette présomption tombe parce que il y a des preuves que, en fait, elle n'était pas crédible", estime Mme Rossignol, ancienne ministre des Droits des femmes.
La révolution féministe, "comme toutes les révolutions, ça se fait en coupant des têtes et, parfois, en faisant des charrettes", assure François Ruffin, député LFI.
"Ce qui est important, c'est de réfléchir aux comportements dont on considère qu'ils sont en infraction avec des valeurs -pas forcément avec le code pénal ou avec la loi-, mais qu'ils rendent des personnes inaptes à exercer des fonctions" politiques, conclut Marylin Baldeck, directrice de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, interrogée sur France Inter.
O.Mucciarone--PV