La cathédrale de Beauvais, tour de Babel inachevée, s'offre un lifting vertigineux
Un échafaudage vertigineux, augurant de quatre ans de travaux au dessus d'une des plus hautes voûtes au monde: au sommet de la cathédrale de Beauvais, des artisans se préparent à remplacer la toiture en plomb et restaurer une charpente médiévale.
La nacelle tout juste installée permet d'éviter les 426 marches en montant le long des imposantes piles de pierre jusqu'aux chéneaux de l'édifice, à près de 60 mètres de hauteur, d'où la vue plonge entre les gargouilles vers les maisons à colombages.
Vues de près, les plaques de plomb composant la toiture sont gondolées par le temps: malgré les multiples rapiècements, elles ne sont plus étanches et seront refondues pour mieux protéger la charpente.
Avec ses 2.000 m3 de bois entièrement assemblés à la main, dont une partie remonte au XIIIe siècle, la forêt de la cathédrale Saint-Pierre de Beauvais "est un témoignage exceptionnel du patrimoine des charpentiers", s'émeut Henri Martin, architecte en chef des monuments historiques.
Les artisans médiévaux y ont laissé des traces de leur travail: des marques d'assemblage, et un ingénieux engin de levage pour hisser les matériaux nécessaires à la construction des voûtes.
- "Etouffer un départ de feu" -
La rénovation vise à renforcer les pièces endommagées par des éléments greffés, sans remplacer de poutres entières.
Le grand chantier inclut l'installation d'un système anti-incendie novateur, pour prévenir un drame similaire au feu qui a ravagé Notre-Dame de Paris en 2019, quand la toiture en plomb de la cathédrale parisienne était en rénovation.
En cas d'alerte, de fins tuyaux terminés par des buses dont les trous font la taille d'une tête d'épingle projetteront de l'eau sous pression pour créer un brouillard. Déjà utilisée dans les bateaux de croisière ou les immeubles de grande hauteur, la technique est à l'étude pour Notre-Dame.
Il s'agit de créer "une atmosphère tropicale humide permettant d'étouffer un départ de feu", sans attendre les pompiers, ni déverser des quantités d'eau dommageables, explique M. Martin.
"Avant, on s'efforçait de sauver le public, maintenant, on s'attache à sauver également le bâtiment, ce qui est beaucoup plus compliqué", indique l'architecte.
Les travaux d'un montant de 17 millions d'euros, en partie financés par l'Etat via le plan de relance, devraient s'achever fin 2026.
- "Tour de Babel" -
"C'est un édifice qui a eu des malheurs, mais c'est un des plus beaux édifices gothiques de France", souligne le préfet des Hauts-de-France, George-François Leclerc, venu inspecter le chantier mercredi.
La restauration permettra aussi de retirer les imposants étais de bois mis en place il y a 30 ans en raison des fragilités structurelles du monument.
Car l'ambition des bâtisseurs d'élever un édifice dont la voûte culmine à plus de 48 mètres de hauteur, l'équivalent de 17 étages, n'était pas sans démesure.
Pour Hilaire Mullon, directeur régional des affaires culturelles, cette épopée architecturale évoque "la Tour de Babel".
Douze ans après l'achèvement du chœur, en 1284, une tornade fragilise les arcs-boutants, et une partie de sa voûte en pierre s'effondre.
Les travaux ne reprennent qu'au XVIe siècle, avec une tour culminant à 157 mètres, ce qui fait de la cathédrale le plus haut monument au monde. Jusqu'à ce que le jour de l'Ascension 1573, quatre ans après la fin du chantier, la tour s'effondre sous son poids.
Si la charpente résiste, la cathédrale restera dès lors inachevée, sans nef.
Mais sa voûte, qui a bravé les bombardements du centre de Beauvais au début de la Seconde guerre mondiale, reste parmi les plus élevées au monde. Elle surpasse de quelques mètres celle de Saint-Pierre de Rome, et de 15 mètres celle de Notre-Dame de Paris.
E.M.Filippelli--PV