Le vin britannique se bonifie avec le réchauffement
Sous un ciel radieux, des saisonniers font courir leurs sécateurs le long des rangs de vigne, récoltant un pinot noir gorgé du soleil de l'été: 2022 s'annonce comme un bon cru pour le domaine de Gusbourne, dans le sud-est de l'Angleterre.
Après les vagues de chaleur inédites qui ont submergé le pays entre juin et août, les raisins sont arrivés à maturité de façon précoce.
Avec le réchauffement climatique, les vendanges, qui commençaient traditionnellement en octobre, sont de plus en plus souvent avancées. Elles ont démarré ici fin septembre.
"En ce moment, je pense que nous avons des conditions de culture similaires à celles de la Champagne dans les années 70 et 80", explique le patron de ce domaine fondé en 2004, Charlie Holland. "Le climat parfait pour faire un vin pétillant d'exception!", assure-t-il.
Selon une étude publiée en juillet, le réchauffement climatique démultipliera, au cours des 20 prochaines années, le potentiel de la viticulture britannique, encore embryonnaire.
Les conditions climatiques deviendront idéales pour les vins tranquilles de cépages pinot noir, chardonnay, riesling...: après les vins qui espèrent concurrencer ceux de la région Champagne, le Royaume-Uni pourra s'essayer à ceux de Bourgogne ou d'Alsace.
- "Assez effrayant" -
A Gusbourne, les tracteurs apportent à la cuverie, dans un ballet continu, des paniers pleins de raisin. Les fruits sont égrappés, pressés, et peuvent commencer à fermenter.
En cette période de vendanges, le domaine est une ruche où travaillent 200 personnes, des saisonniers pour plus de moitié.
Charlie Holland est partout. Il s'active entre les pressoirs, goûte le jus dans les cuves en inox, contrôle la fermentation dans les fûts de chêne. Il n'a pas attendu pour diversifier sa production.
Outre le traditionnel mousseux, "nous faisons un vin rouge avec du pinot noir et un blanc avec du Chardonnay qui sont très bien accueillis. Nous pouvons mûrir les raisins maintenant bien mieux qu'il y a 10 ou 15 ans", explique-t-il.
Le changement climatique est peut-être une aubaine pour les viticulteurs outre-Manche mais il a lieu à une vitesse "assez effrayante", et dans d'autres régions viticoles bouleverse la filière, tempère Alistair Nesbitt, auteur principal de l'étude réalisée par le cabinet spécialisé Vinescapes, la London School of Economics et l'université d'East Anglia.
Les températures plus élevées sont un défi pour de nombreuses régions, de la France à la Californie en passant par l'Australie, qui doivent adapter leurs pratiques, vendanger plus tôt ou envisager de nouveaux cépages.
Si rien n'infléchit la trajectoire au-delà de la période de 20 ans visée par l'étude, le Royaume-Uni pourrait finir par voir arriver, selon le chercheur, des variétés de raisin telles que le Merlot ou le Cabernet Sauvignon, aujourd'hui cultivées plus au sud notamment dans le Bordelais.
"Espérons que le monde se ressaisira" car la hausse des températures, au bout du compte, "menace tout le monde" ajoute le chercheur.
- Marginale -
Face à ces opportunités qui se profilent, la viticulture britannique plante à tour de bras: sa surface de vigne a doublé en huit ans, relève l'organisation sectorielle WineGB.
Mais avec 3.800 hectares de vignes actuellement, environ un dixième de la région champenoise, elle reste marginale.
Le Royaume-Uni "restera probablement un producteur de vin de niche" mais il a le potentiel de monter en gamme avec des températures plus élevées, selon Daniel Mettyear, directeur de recherche au cabinet londonien d'analyses du marché mondial des vins et spiritueux IWSR Drinks Market Analysis.
Les vins britanniques commencent à gagner en notoriété, selon lui, en dépit d'un prix relativement élevé, "en Amérique du Nord, dans les pays nordiques et en Australie en particulier".
Le domaine de Gusbourne exporte environ un tiers de sa production dans 28 pays, principalement en Norvège, Etats-Unis ou Japon... mais aussi à quelques clients en France.
Charlie Holland cultive l'image d'un produit haut de gamme avec des pétillants millésimés et des vins rouges et blancs vieillis en fûts de chêne qui affichent, sur l'étiquette, le nom de la parcelle de culture. Le prix va avec: comptez 45 livres (plus de 50 euros) pour une bouteille de mousseux.
Mais le vigneron ne doute pas du potentiel du vin anglais. "Ce n'est pas si souvent que vous voyez une nouvelle région viticole apparaître". Une première, selon lui, depuis la Nouvelle-Zélande dans les années 80.
O.Merendino--PV