"Les petits pas courageux" de Memorial contre l'oppression en Russie
STORIES ATTENTE manLa répression a beau s'être encore accentuée contre l'ONG russe Memorial après le prix Nobel de la paix le mois dernier, sa directrice Elena Zhemkova assure que le travail continue "a petits pas courageux".
"Bien sûr, c'est très difficile", a déclaré Mme Zhemkova à l'AFP dans une interview lors d'un récent passage à Genève, mais "nous continuons notre travail". Memorial, qui partage le prix Nobel de la paix 2022 avec le Centre ukrainien pour les libertés civiles et le militant biélorusse détenu Ales Bialiatski, a été fondé en 1989 et fait la lumière pendant trois décennies sur les purges staliniennes, puis documenté la répression dans la Russie de Vladimir Poutine. Elle a été dissoute par la justice russe l'année dernière.
L'annonce du prix a été une surprise totale pour Mme Zhemkova, qui a cofondé Memorial avec Andrei Sakharov, le physicien, défenseur des droits de l'homme et déjà lauréat du Nobel de la paix en 1975.
- Bombe A -
Quand un collègue l'a jointe dans un taxi et lui a dit de "regarder les informations" elle craignait que "quelque chose de très grave ne se soit produit".
"Je pensais honnêtement que c'était une bombe atomique", se souvient-elle.
Elle s'est dite "très heureuse" d'avoir remporté un prix aussi prestigieux et surtout de le partager avec des défenseurs farouches des droits de l'homme de deux autres nations au centre de la guerre que Moscou fait à l'Ukraine.
Cela "souligne que les personnes de la société civile de différents pays peuvent et doivent lutter ensemble contre le mal", dit-elle.
Les autorités russes n'ont guère apprécié cette distinction et quelques heures seulement après l'annonce du Comité Nobel le 7 octobre, un tribunal de Moscou a ordonné la saisie du siège de Memorial à Moscou.
"Nous avons reçu la nouvelle du prix Nobel, puis malheureusement, ce jour-là, notre maison nous a été prise", explique Mme Zhemkova: "C'est donc la réponse du gouvernement russe."
- "Pas des héros" -
Mais malgré les défis, elle a insisté sur le fait que "nous devons et nous pouvons continuer notre travail". Même si la semaine dernière, Memorial n'a pas pu organiser son hommage annuel aux victimes de Staline à Moscou, la traditionnelle lecture marathon des noms des victimes a quand même eu lieu dans 22 pays et 77 villes.
"Ils ne peuvent pas arrêter notre travail", lance Mme Zhemkova, qui rappelle qu'en Russie aussi Memorial continue d'organiser des expositions, des excursions et de "défendre les droits des personnes devant les tribunaux".
Le prix Nobel, a-t-elle dit, a été utile "parce que c'est un signe de soutien très important". Mme Zhemkova, qui était à Genève pour prononcer le discours de paix annuel Kofi Annan, a reconnu qu'elle et d'autres membres de Memorial craignaient pour leur sécurité en Russie.
"Il y a une persécution massive des personnes et d'institutions qui s'opposent au point de vue officiel", dénonce t-elle.
"Bien sûr, nous avons peur... Nous sommes des gens ordinaires." "Nous ne sommes pas des héros", dit-elle, "mais nous essayons de faire de petits pas courageux".
- Hors la loi -
En plus des risques physiques qu'il courent, Mme Zhemkova et nombre de ses collègues sont visés par "des poursuites judiciaires illégales et complexes".
Elle reste pour l'heure à l'étranger, mais insiste qu'elle devrait pouvoir vivre dans son pays : "Je respecte toutes les règles. Je n'ai enfreint aucune loi, je fais un travail légal".
Mais, a-t-elle ajouté, "je suis contre la guerre, et pour le moment, (ça) suffit pour qu'une enquête pénale soit ouverte contre vous".
Lorsqu'on lui demande ce qu'elle pense des actions du président russe, Elena Zhemkova lance: "Je ne pense pas à Poutine. Je ne m'intéresse pas du tout à lui." "Je pense au nombre de générations de Russes qui devront payer pour ce qu'il a fait."
H.Ercolani--PV