De l'isolement au manque d'aide: être victime de violences conjugales à la campagne
Dans sa maison d'Aiguillon, commune de 4.500 habitants du Lot-et-Garonne, Marie vit désormais sans son ancien compagnon, incarcéré après plusieurs années de violences au cœur d'un milieu rural où "être isolée crée une emprise" difficile à briser.
En préparant du café, cette quadragénaire montre les cadres qui dissimulent les traces des coups de poings sur le mur.
"On essaie de changer la déco, ça évite de trop cogiter", explique Marie, dont l'ex-conjoint a été condamné cet été.
Elle l'avait rencontré il y a six ans. Les violences entrent dans le foyer en 2018 quand, sous l'emprise de l'alcool et de la drogue, "il s'en est pris à moi avec des brûlures de cigarette, en retournant l'appartement".
Elle lui pardonne car il est le père d'un de ses enfants et qu'il reste "des sentiments". S'ensuivent des années de coups et de violences psychologiques.
"Il a détruit ce qui appartenait à ma maman décédée, il y a un aspirateur qui vole, un frigo cassé, pour faire mal, pour piquer, pour détruire", énumère-t-elle.
Comme Marie, un tiers de la population française vit en milieu rural, selon l'Insee.
C'est dans ces communes denses ou très peu denses que 50% des féminicides ont lieu, avait indiqué l'an dernier le gouvernement.
- Déplacements contrôlés -
Dans une étude réalisée en 2022 en Nouvelle-Aquitaine, la sociologue Johanna Dagorn explique que les habitantes des zones rurales "cumulent les facteurs d'agression": parfois éloignées des voisins et confrontées à des stéréotypes de sexe renforcés, elles subissent en outre un contrôle social exacerbé.
Les victimes ont peur de "mettre le bazar dans le village" si elles parlent et de ne pas être crues, explique la sociologue à l'AFP.
Notamment quand les voisins ont "une image très correcte" du bourreau, confirme Sarah, victime de violence psychologique de la part de son ancien mari.
Car dans ce cas, personne d'autre "ne viendra vous dire que ce n'est pas normal".
Toujours dans le Lot-et-Garonne, Cathia a également subi des violences psychologiques pendant près de huit ans dans une maison entourée par les proches de son conjoint.
"Il a dit que sa famille lui montait la tête en prévenant +Attention, il faut l'écraser, la dresser+. Pour aller faire les courses, je devais sortir avec sa mère", explique la trentenaire venue d'Algérie pour le rejoindre.
"En ville, j'aurais pu trouver des femmes comme moi, pour se soutenir. Là, à la campagne avec sa famille, ça fait peur", estime-t-elle.
Sans véhicule à son arrivée, elle est confrontée au manque de transports en commun.
Ce manque d'autonomie accentue l'emprise qui passe par un contrôle des déplacements: "Des fois je partais en voiture, quand il ne prenait pas les clés", raconte Marie, mais le kilométrage était aussi surveillé.
- "Personne à aller voir" -
Egalement isolée socialement, cette dernière a seulement "le droit de travailler, et encore quand il n'y a pas de coups de fil avec des insultes".
Selon elle, "milieu rural ou pas, les gens ferment les yeux. Il a pu me tabasser dans la cour, personne n'a rien fait", mais "être isolé de tout le monde crée une emprise car il sait que je n'ai personne à aller voir".
À SOS Accueil Mamans-Enfants, dans la ville voisine de Marmande, les appels à l'aide atteignent "un sommet", selon la présidente Annick Cornaggia.
L'association a déjà accompagné plus de 200 victimes "à la gendarmerie, aux urgences" ou dans leurs démarches.
Sa structure est l'une des rares dans la zone. Un manque soulevé par Johanna Dagorn, alors que les victimes connaissent rarement les numéros d'appel nationaux et préfèrent passer par la gendarmerie.
"C'est le seul point de recours", témoigne Sarah, soulignant l'importance de former les agents.
Un souhait partagé par Marie, ressortie "incomprise" d'un premier dépôt de plainte. Huit autres ont suivi avant l'arrestation de son conjoint, après une nuit passée séquestrée et violentée.
Elle a également été aidée par Annick, tout comme Cathia qui l'avoue: "Sans association, j'aurais continué car où je serais allée avec mes enfants?". Elle a pu bénéficier d'un des logements mis à disposition dans le département par un bailleur social, Habitalys, dont la structure est partenaire.
"On leur donne beaucoup de choses pour leur donner confiance", explique Annick Cornaggia qui admet que si à la campagne "tout le monde sait tout", cela permet aussi d'être prévenu plus facilement pour agir.
Pour cette dernière, joignable jour et nuit, la devise est claire: "Sauvons-les tant qu'elles sont encore vivantes".
J.Lubrano--PV