"Je le referai": l'étudiante birmane qui défie la junte en prison
S'il faut le refaire "je le referai": Lin Lin a payé son engagement contre la junte birmane au prix de sa liberté, mais l'étudiante en psychologie, condamnée à une longue peine de prison, ne regrette rien.
"Je voulais le faire plus que toute autre chose", raconte-t-elle à l'AFP durant son procès. "Et si vous me demandez ce que je vais faire si je suis libérée, je le referai encore", assure la jeune femme de 25 ans.
Elle purge une peine d'emprisonnement de quinze ans pour son implication dans des manifestations autour de la capitale commerciale Rangoun, organisées après le putsch de février 2021 qui a chassé le gouvernement démocratiquement élu d'Aung San Suu Kyi.
Son cas illustre les méthodes brutales des généraux pour faire taire la dissidence après que des millions de Birmans ont défilé pour réclamer le retour de la démocratie.
Lin Lin a grandi lors d'une rare parenthèse de liberté en Birmanie, que l'armée a refermée sur la base d'allégations infondées de fraude électorale massive lors d'un scrutin national en 2020 devant conforter au pouvoir le parti d'Aung San Suu Kyi.
Face au mécontentement populaire, les généraux ont mené une répression d'ampleur: tirs à balles réelles sur la foule, arrestation de milliers de personnes et descentes de police durant la nuit visant les opposants.
Ces méthodes ont dissuadé une partie des manifestants mais pas Lin Lin, qui a poursuivi le mouvement avec d'autres étudiants, sous un format original inspiré notamment des manifestations pro-démocratie de Hong Kong.
- Cachettes -
Dans le quartier historique de Rangoun, devant des centres commerciaux ou dans des parcs de banlieue, des dizaines de jeunes défilaient au cours d'une opération chronométrée, avec des bannières pro-démocratie et des fumigènes.
La scène, de quelques secondes avant dispersion pour échapper à la police, était chaque fois filmée et diffusée sur les réseaux sociaux ou transmise à des médias étrangers.
L'AFP avait rencontré Lin Lin fin 2021, lorsqu'elle échappait aux forces de sécurité en vivant dans des cachettes.
"Pendant les manifestations, je ressens tellement d'adrénaline", avait-elle déclaré à l'époque. Mais la nuit, elle frissonnait au moindre bruit derrière la porte de ses abris secrets.
"Je ne peux pas dormir (...) C'est quand je vois les rayons du soleil le matin que je me sens en sécurité. Après ça, je peux bien dormir", expliquait-elle.
En décembre 2021, l'étudiante a finalement été arrêtée par des policiers en civil, alors qu'elle rejoignait une manifestation.
"Je m'étais préparée au pire... mais quand ça m'est soudain tombé dessus, j'ai ouvert la bouche et j'ai seulement dit +hein?+", raconte-t-elle aujourd'hui depuis la prison.
- 26.000 prisonniers politiques -
"J'ai aussi pensé à m'enfuir, mais la route était très dégagée et ils avaient des pistolets", poursuit-elle.
En mars 2022, un tribunal aux mains de la junte l'a condamnée à trois ans de prison pour avoir répandu le mécontentement contre les militaires, en vertu d'une loi de l'époque coloniale.
Plus tard, elle a été condamnée à deux années de prison supplémentaires pour possession d'une fausse carte d'identité.
La Birmanie compte plus de 26.000 prisonniers politiques, selon un groupe local de surveillance.
Les forces de sécurité ont eu recours à la torture et aux violences sexuelles pour réprimer la dissidence, selon des groupes de défense des droits humains. En 2022, les Nations unies ont recensé au moins 290 décès en détention.
La monotonie de la vie derrière les barreaux est parfois interrompue par des colis de nourriture envoyés de la maison. Lin Lin peut voir des membres de sa famille seulement lors d'audiences au tribunal.
"J'évite la dépression en pensant à ce que je faisais avant d'être arrêtée", confie-t-elle.
- Cuisine chinoise et voyage -
Elle écrit aussi des lettres à ses camarades de lutte.
"Elle ne parle jamais de ses sentiments", explique son amie Hélène, qui a aussi été en prison. "Elle ne veut pas qu'on soit déprimés", poursuit-elle, s'exprimant derrière un pseudonyme pour des raisons de sécurité.
Pour éviter la censure des militaires, elles échangent sur la cuisine chinoise et les voyages qu'elles feront plus tard ensemble.
En février, un tribunal a condamné Lin Lin à dix années de prison supplémentaires pour ses liens avec une organisation jugée terroriste par le pouvoir.
"Je crains qu'elle ne tienne pas le coup si elle reste en prison trop longtemps", concède Hélène.
Lin Lin a arrêté de compter les jours jusqu'à sa libération.
"Je refuse de me demander combien de temps il me reste avant de pouvoir rentrer chez moi", explique-t-elle. "J'accepte seulement que je pourrai rentrer à la maison une fois que la révolution aura triomphé."
O.Merendino--PV