Frédéric Mitterrand: itinéraire d'un faux dandy à la "mauvaise vie"
Il portait un nom admiré à gauche mais fut ministre de la Culture sous un président de droite: inclassable, Frédéric Mitterrand, décédé jeudi à 76 ans, racontait comme personne l'âge d'or du cinéma, naviguant entre télévision et postes prestigieux, et n'hésitant pas à confesser sa "mauvaise vie".
Neveu de l'ancien président de la République, il a fait en 2005 le récit de ses errances sexuelles et tarifées en Thaïlande et au Maghreb.
D'abord salué, le livre suscitera ensuite la polémique, l'obligeant à se défendre de toute relation avec des mineurs ou d'apologie de la pédocriminalité.
En avril 2023, il annonçait être "malade", sans donner plus de précisions, alors qu'il venait de publier un essai sur... Brad Pitt. Joignant le geste à la parole, il posait ensuite dans Paris Match, déguisé comme la star hollywoodienne, se moquant des quolibets.
Dans un communiqué transmis à l'AFP jeudi, sa famille a indiqué qu'il avait lutté "plusieurs mois contre un cancer agressif".
Né le 21 août 1947 dans les beaux quartiers à Paris (son père, Robert Mitterrand, ingénieur, est le frère de François), Frédéric Mitterrand a percé grâce au petit écran et à quelques émissions devenues célèbres.
Sa passion, c'est le cinéma. A 13 ans, il joue le fils de Michèle Morgan dans "Fortunat", avec Bourvil (1960).
Adulte, après quelques années d'enseignement, il retourne à ses premières amours: il rachète une salle à Paris puis crée un réseau d'art et essai, qu'il anime pendant 15 ans.
Il passe aussi derrière la caméra et réalise notamment "Lettres d'amour en Somalie" (1981), écrit à la première personne, et l'opéra "Madame Butterfly", filmé en Tunisie (1995).
La télévision l'appelle. Et le petit écran lui permet de partager son amour pour le grand.
"Etoiles et toiles" est le nom de la première émission qu'il anime sur la Une à partir de 1981: il y ressuscite avec flamboyance les stars, surtout les actrices, et décortique les grands films.
L'homme insuffle sa cinéphilie au spectateur, captivé par cette voix lancinante, au phrasé reconnaissable entre tous.
Fin 1988, Frédéric Mitterrand quitte avec fracas TF1, devenue chaîne privée, pour Antenne 2 et le service public. "Ils n'aiment ni les Noirs, ni les Arabes, ni les pédés, ni les gens de gauche. Autant dire que je n'avais pas beaucoup d'avenir", déclare-t-il.
- "Missile nucléaire" -
Les titres des magazines qu'il anime à la télévision parlent d'eux-mêmes: "Destins", "Les Amants du siècle", "Etoile Palace", "Les légendes du siècle"... Portraits souvent déchirants de stars du cinéma et de têtes couronnées.
Sans indulgence pour les chaînes privées, il n'en montre pas davantage pour l'audiovisuel public.
Quand il est récompensé en 1990 par un "7 d'Or" pour son émission de variétés "Carte blanche à Frédéric Mitterrand", il dépose son trophée par terre, là où "se trouve le service public".
Le personnage est tout aussi inclassable en politique. Malgré son nom, il refuse de marcher sur les traces d'un oncle qu'il admire. Il adhère en juin 1993 au Mouvement des radicaux de gauche (MRG).
En mai 1995, il apporte son soutien à Jacques Chirac, candidat à la présidence.
Nommé à la tête de la Villa Médicis à Rome par le président Nicolas Sarkozy en 2008, il rentre à Paris quelques mois plus tard pour prendre le ministère de la Culture, jusqu'à l'élection présidentielle de 2012, perdue par la droite.
Ministre, il soutient le cinéaste Roman Polanski, accusé de viols. Dans un livre, "Le Désir et la Chance" (2012), il revient sur cet épisode et évoque "le missile nucléaire" lancé contre lui par Marine Le Pen, qui explique ce soutien par ses aventures dans les nuits de Bangkok.
Sa nomination rue de Valois suscite quelques froncements de sourcils: le nouveau venu n'a pas fait l'ENA, ne vient pas de la haute fonction publique et cultive une image de dandy.
A ce poste, il affronte les intermittents du spectacle, fait adopter la loi Hadopi et conduit des grands chantiers, lancés pour certains avant son arrivée: le Mucem (musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée) à Marseille, la Philharmonie à Paris...
Frédéric Mitterrand était père de trois enfants.
G.Riotto--PV