En Espagne, une école pour former les "bergers du XXIème siècle"
Vanesa Castillo immobilise une brebis entre ses jambes et approche la tondeuse de son épaisse laine en retenant la tête avec son autre main. "J'ai peur!", lâche la trentenaire, élève d'une école de bergers de l'ouest de l'Espagne.
"Tu dois tendre la peau de l'animal" et tondre "lentement pour ne pas le couper", explique José Rivero, tondeur professionnel intervenant dans l'école. Vanesa parvient à retirer une partie de la laine avant que José ne termine le travail, laissant la brebis de race mérinos à nu, sous les applaudissements des autres élèves.
A quelques mètres de là, Thibault Gohier apprend à traire des chèvres et à reconnaître si elles présentent une maladie pouvant affecter la qualité du lait. "Le bout de tes doigts doit devenir tes yeux", conseille Felipe Escobero, responsable de cette formation gérée par la coopérative agricole Cooprado.
Le jeune homme, tee-shirt noir, queue de cheval et barbe épaisse, palpe les ganglions situés sur la partie supérieure du pis d'une chèvre noire de Grenade. S'ils sont sains, "ils doivent être comme une amande", explique son formateur.
Comme Thibault et Vanesa, ils sont une dizaine à suivre une formation de cinq mois et de 600 heures dans cette école de Casar de Cáceres, village de 4.000 âmes au coeur de l'Estrémadure, une région rurale concentrant une grande partie de l'élevage d'ovins et de caprins en Espagne.
Objectif: apprendre à travailler avec les animaux, respecter leur bien-être mais aussi se familiariser avec la gestion financière et obtenir les certificats dont les éleveurs ont besoin pour exercer.
L'idée, c'est de former "les bergers du XXIe siècle" dans un secteur où convergent "la tradition et les dernières innovations", explique à l'AFP Enrique "Quique" Izquierdo, responsable de l'école.
"La vision bucolique du berger dans son champ avec son sac en bandoulière" est dépassée, abonde Jurgen Robledo, vétérinaire et enseignant dans cette école: "le berger d'aujourd'hui est un berger technologique" qui contrôle par exemple la production de lait grâce à des tablettes et du "big data".
- "Un avenir à la campagne" -
Assis derrière les pupitres de la salle de classe, les élèves sont tout ouïe. Jurgen les encourage à poser des questions, sachant que des profils très différents transitent par l'école. Certains travaillent déjà dans le secteur et souhaitent se spécialiser, d'autres cherchent à changer de vie.
A 37 ans, Vanesa Castillo fait partie de cette seconde catégorie: sans emploi depuis la fermeture voilà deux ans de la maison de retraite qui l'employait, elle suit la formation avec sa fille Arancha Morales, 17 ans, dans l'optique de monter une ferme familiale.
"Nous cherchons un moyen de ramener de l'argent à la maison", explique Arancha, dont le père est dans l'incapacité de travailler suite à un accident du travail.
Toutes deux sont toutefois conscientes de la difficulté de trouver des terres abordables pour leur troupeau, un problème répandu en Estrémadure, selon les responsables de l'école.
Agé de 26 ans, Thibault Gohier rêve lui d'"une auberge et à côté une petite ferme", avec "une trentaine d'animaux". Ce Français amoureux des animaux, qui aurait dû suivre la formation en 2020 mais a dû la retarder à cause du Covid-19, n'exclut pas néanmoins de travailler dans une ferme en Espagne.
Pendant que les élèves apprennent à tondre, El Ouardani El Boutaybi nourrit des dizaines de chevreaux sautant et courant à l'intérieur d'un enclos. Cet ancien élève, passé par l'école de Casar de Cáceres en 2020, a fini par intégrer l'équipe de l'école à l'issue de sa formation.
"J'ai un avenir à la campagne", raconte avec fierté ce jeune de 20 ans originaire de la ville marocaine de Nador, et arrivé en Espagne en 2017 via l'enclave espagnole de Melilla, où il a passé du temps dans un centre pour migrants mineurs.
Un parcours qui incarne précisément ce que recherche l'école depuis sa création en 2015: face à "l'abandon des zones rurales" espagnoles, nous voulons "attirer à la campagne des gens qui en ont envie", en leur apportant pour cela "toutes les ressources nécessaires", explique Quique Izquierdo.
O.Pileggi--PV