Cession du Doliprane: un rebondissement, un bras de fer et une grève
Coup de théâtre dans la cession du Doliprane: le fonds français PAI, dont l'offre avait été écartée, a renchéri pour racheter la filiale du groupe pharmaceutique commercialisant le médicament, mais Sanofi s'est "étonné" jeudi de cette proposition "hors délais", sur fond de grève dans différents sites.
Selon une source de l'entourage du fonds d'investissement français, "une offre améliorée a été remise à hauteur de 200 millions d'euros supplémentaires" par rapport à l'offre présentée il y a une semaine en appui des fonds d'Abou Dhabi Avia, singapourien GIC, et le canadien BCI.
Cette source n'a cependant pas précisé ni le montant de l'offre concurrente ni la sienne.
Sanofi, qui a finalement réagi jeudi soir, a semblé peu goûter le nouveau scénario de PAI, se disant "étonné" de cette "offre améliorée" hors "des délais" et rappelant son choix de la semaine passée.
Le géant pharmaceutique a annoncé le 11 octobre négocier avec le fonds d'investissement américain CD&R afin de lui céder potentiellement 50% d'Opella, sa filiale qui abrite une centaine de marques de produits sans ordonnance dans le monde, dont le Doliprane.
Ce projet stratégique, nouvel exemple du recentrage de la "Big Pharma" sur l'innovation, a rapidement pris une tournure politique vu notamment la popularité du médicament utilisé pour soulager la douleur et la fièvre au sein de la société française.
Les syndicats craignent une "casse sociale" dans les 1.700 emplois d'Opella sur le sol français, dont 480 sur son site de Compiègne (Oise) et 250 dans son usine de Lisieux (Calvados), dédiée à ce médicament le plus vendu en France.
"On sacrifie le Doliprane et la souveraineté sanitaire française sur l'autel de la finance", a déploré Humberto de Sousa, coordinateur CFDT du groupe, présent à Compiègne, où une centaine de salariés se sont rassemblés.
Présent également à Compiègne, le député de gauche François Ruffin (ex-LFI) a renvoyé dos à dos les "deux requins" candidats au rachat. "Il faut que les sites industriels soient aux mains d'acteurs industriels, et pas d'acteurs de la finance (...), le gouvernement doit s'y opposer", a estimé l'élu de la Somme.
Pour Adil Bensetra, élu CFDT au CE, la nouvelle offre de PAI "démontre que le mouvement fonctionne, que les lignes bougent, mais ce n'est pas suffisant parce qu'un fonds d'investissement, ça nous pose toujours problème".
Selon lui, les salariés ont décidé de poursuivre les débrayages après l'annonce de l'offre française.
A Lisieux, où 80 personnes se sont mobilisées jeudi, "le mouvement de grève est reconduit" vendredi dès 8h, a annoncé Johann Nicolas, délégué syndical CGT.
A Mourenx (Pyrénées-Atlantique), site qui emploie une soixantaine de salariés et tourne 24h/24h, la grève se manifeste par des débrayages successifs, sur chaque tranche horaire de travail.
- "Scandaleux" -
Mobilisée "pour défendre notre patrimoine et pour garder notre travail", Isabelle Glais, technicienne à Lisieux, aurait espéré que l'Etat "bouge un petit peu plus pour nous garder en France (...) parce que Doliprane c'est notre bébé".
"Il est scandaleux qu'on laisse partir des boîtes comme ça sur nos territoires", a dénoncé le secrétaire général de l'Union départementale FO du Calvados, Mickaël Robe.
Ce projet fait écho aux enjeux de politique sanitaire dans un contexte déjà marqué par des difficultés d'approvisionnement de certains médicaments, dont des pénuries de paracétamol à l'hiver 2022/23.
Les contours d'une éventuelle transaction restent en discussion, mais la perspective de l'arrivée d'un acteur financier étranger au capital d’Opella inquiète jusqu'au sommet de l'Etat.
Depuis plusieurs jours, le gouvernement tente de rassurer sur le devenir des sites français d'Opella en multipliant les déclarations sur les engagements écrits demandés aux parties prenantes en matière d'emplois et de sécurité d'approvisionnement.
Mais l'exécutif, qui affiche toujours sa volonté de réindustrialisation, ne veut pas non plus effaroucher les investisseurs étrangers.
"Ce gouvernement prend l'engagement de maintenir le Doliprane en France", a assuré mercredi le ministre de l'Economie Antoine Armand, ajoutant que "le maintien de l'emploi est la priorité absolue et ne sera pas négociable".
Mais "si nous voulons vraiment que la France soit à la pointe de la recherche, de l'industrie, qu'elle soit souveraine sur l'ensemble des technologies sanitaires mais pas seulement, croyons-nous collectivement que nous pouvons nous passer de financements et publics et privés?", a-t-il demandé.
- "Pérennité" des emplois -
La présidente de Sanofi France, Audrey Duval, a promis jeudi la "pérennité" des emplois, des sites de production et du Doliprane.
En vain. Dans l'opposition, les appels à bloquer la vente se font pressants.
"Notre objectif n'est pas de bloquer la vente, c'est d'arriver par le dialogue à obtenir des engagements écrits", a souligné jeudi Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement.
Echaudée par la crise du Covid, la France s'est lancée dans une reconquête d'autonomie sanitaire en cherchant à relocaliser la production de certains médicaments, dont le paracétamol, composé chimique du Doliprane.
Le principe actif n'était plus fabriqué dans l'Hexagone depuis 2008-2009 mais une usine de production de paracétamol est en construction sur le site de Roussillon (Isère) du chimiste Seqens, qui a déjà signé des contrats avec Opella et Upsa (Dafalgan et Efferalgan).
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R.Zarlengo--PV