Pallade Veneta - Préparateur de poils de sanglier, un artisanat menacé d'extinction

Préparateur de poils de sanglier, un artisanat menacé d'extinction


Préparateur de poils de sanglier, un artisanat menacé d'extinction
Préparateur de poils de sanglier, un artisanat menacé d'extinction / Photo: Charlotte DURAND - AFP

Crins de cheval ou soies de sanglier, pour des brosses, des pinceaux, des balais: né dans l'artisanat familial, Frédéric Brigaud est l'avant-dernier préparateur français de poils. L'heure de la retraite sonne, mais il n'a trouvé personne pour reprendre son activité et transmettre son savoir-faire.

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Au milieu des bottes de poils et des machines à l'arrêt, Frédéric Brigaud contemple son royaume sur le déclin. "Ici, on fabrique la matière de garnissage pour des brosses à cheveux, des pinceaux, des balais, des brosses techniques", explique-t-il à l'AFP, balayant du regard l'atelier familial situé à Hermes, dans l'Oise.

"Il y a un tas de choses qui nécessite des poils et personne ne s'en doute!", sourit le préparateur de fibres. Son métier, il le pratique depuis 1982 et en explique volontiers les arcanes, transmises par son père, et son grand-père avant lui.

Déjà, il faut sélectionner le type de fibre et la partie du poil selon l'usage que le client désire en faire.

"La soie de cochon, souvent présentée comme du sanglier, est conique: la racine est plus épaisse qu’à l'extrémité", explique-t-il, donc "la fleur c'est pour les pinceaux, et la racine, c'est pour les brosses!".

Il saisit une caisse estampillée d'idéogrammes chinois et en sort une longue botte de poils.

Préparer une commande consiste d'abord à les couper à la bonne taille, mais surtout à les mélanger à la main pour former des bottes homogènes, pas plus fines en haut qu'en bas.

- Perfide nylon -

Dans l'atelier silencieux, les soies de sanglier volètent et finissent leur course sur le sol, en monticules dignes d'un salon de coiffure post-Covid. Au-dessus, Brigitte Lambin, dernière employée de l'entreprise, mélange deux bottes de poils comme un croupier battrait des cartes.

"Quand on se brosse les cheveux, on ne voit pas tout ce qu'il y a derrière", plaisante-t-elle en ramassant le tas piquant et étonnamment solide de poils, qu'elle rebat une seconde fois.

"C'est un travail manuel car il n'existe pas de machine capable de mélanger des soies inférieures à 40 mm", explique M. Brigaud.

Pour autant, "c'est un métier qui se perd", se désole un client brossier, Daniel Desjardins.

Après la Seconde Guerre mondiale, "on était 40 en France", se souvient avec nostalgie Frédéric Brigaud, mais "maintenant que je prends ma retraite, il ne reste plus que mon confrère Stéphane Duval de la société Moissonnier, à Monéteau" (Yonne).

En cause? La crise qu'a traversée la brosserie artisanale française, mais aussi l'avènement du nylon et autres fibres synthétiques homogènes, qui ne nécessitent pas le brassage propre au poil naturel.

"Du temps où le nylon n'existait pas, mon père n'avait qu'un seul client: la Brosse et Dupont à Beauvais, qui avait besoin de 1.000 kg de poils par semaine!". L'atelier comptait quinze ouvriers. Désormais, Frédéric Brigaud fournit tous les brossiers français restants et a dû s'ouvrir à l'export, qui constitue 60% de ses débouchés.

- Gestes techniques -

Le geste assuré, impressionnant de précision, Brigitte Lambin saisit une poignée de poils, les aligne et reforme des bottes, qui ressortent toutes du même diamètre, bien qu'elles soient faites "à l'œil".

"C'est assez technique, il y a un coup à prendre", affirme celle qui a "tout appris sur le tas", en arrivant à l'atelier à 18 ans.

Frédéric Brigaud confirme: "Il n'y a pas d'école pour apprendre ce métier (...). C'est un savoir-faire qui se transmet".

Malheureusement, "les jeunes, ça ne les intéresse pas trop désormais, ils préfèrent bosser avec une machine ou un ordinateur", estime-t-il. "En même temps, faire des bottes toute la journée, c'est répétitif!".

Le préparateur de fibres juge l'avenir de son métier "incertain". Outre la relève, la matière première pourrait venir à manquer: ses fournisseurs chinois, les seuls à encore élever les bêtes assez longtemps pour obtenir des poils longs, se tournent "de plus en plus vers les cochons en batterie, comme en Europe".

Cela étant, "le made in France revient en force" et la brosserie française reprend du poil de la bête grâce au luxe. Cela sauvera-t-il les préparateurs de fibres? Mystère et boule de poils.

H.Lagomarsino--PV