"L'heure de vérité" au procès hors norme des viols de Mazan
Les 51 accusés au procès des viols de Mazan iront-ils tous en prison, comme l'a réclamé l'accusation ? Les juges suivront-ils au contraire les avocats de la défense, qui ont plaidé des dizaines d'acquittements ? A 09h30, la cour criminelle de Vaucluse va entamer la lecture d'un verdict très attendu.
"Noël en prison, Pâques en zonzon", "la justice fait mâle", "la honte a changé de camp. Et la justice ?": les collages du collectif féministe des Amazones d'Avignon, dans la nuit, résumaient la pression sur les cinq juges professionnels de la cour, présidée par Roger Arata.
"Le viol concerne des femmes du monde entier, c'est pour ça que le monde entier a les yeux sur ce qui va se passer", a expliqué à l'AFP une représentante de ce mouvement, alors que 180 médias, dont 86 étrangers, étaient présents sur place pour couvrir l'événement.
Les trois enfants du couple, David, Caroline et Florian, sont arrivés ensemble au tribunal vers 08h30, fendant une foule de spectateurs, militants et journalistes. Leur mère Gisèle est, elle, arrivée séparément et souriante un peu après 9H00 accompagnée de ses deux avocats.
Cette décision, dans un palais de justice d'Avignon sous haute protection policière, sera scrutée de près, en France comme à l'étranger, tant ce procès a provoqué une onde de choc, depuis son ouverture le 2 septembre, devenant emblématique des questions autour des violences sexistes et sexuelles, de la soumission chimique, du consentement et plus largement des rapports hommes-femmes.
C'est "L'heure de vérité" pour le quotidien régional La Provence, Libération espérant à sa Une que les juges rendront "un verdict pour l'avenir", qui permette de rompre avec "la banalité du viol".
Sauf surprise, le principal accusé, Dominique Pelicot, 72 ans, qui a reconnu avoir drogué son épouse Gisèle aux anxiolytiques, pendant une décennie, pour la violer et la livrer à des dizaines d'inconnus qu'il recrutait sur internet, devrait écoper de la peine maximale de 20 ans de prison réclamée par le ministère public.
Mais son avocate, Béatrice Zavarro, espérait encore mercredi, auprès de l'AFP, que la cour "s'éloigne un petit peu du quantum proposé par l'accusation" et prenne notamment en compte les "traumas" que son client aurait subis durant son enfance, dont un viol à neuf ans.
- Trentaine de demandes d'acquittement -
La grande inconnue réside dans les peines dont écoperont ses coaccusés, la cour devant nécessairement individualiser ses sanctions, et dans l'acquittement dont pourraient bénéficier certains.
Fin novembre, le ministère public avait réclamé de 10 à 18 ans de réclusion contre 49 d'entre eux, jugés pour viols aggravés, et quatre ans de prison contre le dernier, seulement poursuivi pour "attouchements" sur Gisèle Pelicot.
Ces réquisitions sont plus sévères que la moyenne des condamnations pour viols en France, qui était de 11,1 ans en 2022, selon le ministère de la Justice.
Laure Chabaud, l'une des deux représentantes du ministère public, avait espéré que la décision de la cour dépasse le sort de ces accusés et envoie "un message d'espoir aux victimes de violences sexuelles".
A l'inverse, les avocats de la défense ont formulé une trentaine de demandes d'acquittement pour leurs clients qui, selon eux, ont été "manipulés" par le "monstre", le "loup" ou encore "l'ogre" Dominique Pelicot. Ils "n'avaient pas l'intention" de violer son ex-épouse, âgée aujourd'hui de 72 ans, et n'ont donc pas commis de crime au sens du code pénal, ont-ils plaidé.
- 86 médias étrangers -
A quelques minutes du verdict, la tension était palpable dans la salle d'audience, où un important dispositif policier était déployé. En cas de condamnations généralisées et de mandats de dépôt, ce sont en effet 32 accusés ayant comparu libres qui partiraient derrière les barreaux.
Prêts à cette éventualité, la plupart sont d'ailleurs arrivés à l'audience avec un sac contenant quelques vêtements, a constaté un journaliste de l'AFP dans la salle d'audience principale. En pleurs, l'un d'eux a longuement étreint sa compagne avant de rentrer dans la salle.
Hors norme par sa durée, le nombre d'accusés, mais surtout l'atrocité des faits reprochés, ce procès a déjà marqué l'histoire. Dans les rangs des associations féministes et des parties civiles, l'espoir est grand de le voir faire évoluer les mentalités sur les viols, tentatives de viols et agressions sexuelles déclarés chaque année par plus de 200.000 femmes en France.
Cette affaire aura également permis d'incarner le fléau des violences sexuelles, à travers la figure de Gisèle Pelicot, qui de victime anonyme s'est muée au fil des semaines en une icône féministe exhortant les femmes "à ne plus se taire" afin que "la honte change de camp".
"Merci Gisèle", clamait une banderole accrochée aux remparts de la vieille ville d'Avignon jeudi matin, face au tribunal.
I.Saccomanno--PV