De la Ddass à Necker: Céline Greco, ex-enfant battue en "mission" auprès des enfants placés
C'est la "Madame Santé" des enfants placés: battue par son père pendant 10 ans avant d'être "sauvée" par l'ex-Ddass, Céline Greco remue depuis ciel et terre pour que les enfants de la protection de l'enfance ne soient plus "les grands oubliés de la République".
"Mon combat c'est de faire en sorte ces enfants aient les mêmes droits que tous les autres enfants qui grandissent dans des familles aimantes", résume la professeure de médecine de 40 ans derrière ses lunettes rondes multicolores.
Il faut "absolument casser cette double peine d'avoir subi des violences et des négligences et de regarder les autres partir en vacances, avoir des cours de danse, pouvoir faire des études supérieures" ou encore bénéficier d'un simple suivi médical, martèle-t-elle dans son bureau de l'hôpital Necker-Enfants malades.
La frêle mais dynamique cheffe du service Douleur et médecine palliative de l'emblématique hôpital parisien sait combien la mission qu'elle s'est fixée est titanesque. Souvent "épuisante", souffle-t-elle, parfois même "décourageante" au vu de la montagne à gravir et des politiques à convaincre.
Embolisé, le secteur de (Ase, ex-Ddass) craque de partout, entre manque de budget, pénurie de professionnels, épuisements des acteurs de terrain et justice saturée.
La prise en charge en matière de santé et d'éducation des quelque 390.000 enfants et adolescents de l'ASE reste elle balbutiante avec des conséquences documentées de longue date.
S'il n'est pas pris en charge et soigné rapidement, un enfant victime de violences perdrait ainsi en moyenne 20 ans d'espérance de vie.
A l'heure actuelle, "seuls 30% des enfants ayant subi des violences ou des négligences graves ont un bilan de santé quand ils arrivent dans le dispositif de protection de l'enfance", s'indigne Céline Greco.
- "Un ours tous les soirs" -
Or l'impact des violences subies enfant est immense. Pour l'illustrer, Céline Greco prend l'exemple de la rencontre fortuite avec un ours en forêt. "Vous allez soit fuir soit combattre, et pour y parvenir votre cerveau va commander à vos glandes surrénales la sécrétion d'adrénaline et de cortisol, qui sont les hormones du stress".
Mais "si l'ours rentre à la maison tous les soirs" comme c'est le cas dans les violences intrafamiliales, ce stress devient toxique et on a des enfants qui à l'âge adulte développent des maladies cardiovasculaires, de l'hypertension, qui font beaucoup plus d'AVC que les autres", ajoute-t-elle.
Autres conséquences, un risque accru de diabète et maladies auto-immunes, des difficultés à réguler les émotions ou encore des troubles de l'apprentissage.
Pour Céline Greco, les années ont passé depuis les violences psychologiques et physiques subies par son père qui voulait faire d'elle une prodige du piano.
Mais elle conserve toujours des séquelles des coups de ceinture quotidiens, de la privation de nourriture, des enfermements à la cave et des humiliations infligées comme la fois où il rase la tête pour avoir raté un exercice au piano.
"Quand j'ai été placée à 14 ans, après avoir été repérée par une infirmière scolaire, je n'ai pas eu de suivi au niveau de ma santé et j'ai accumulé les séquelles et aujourd'hui voilà : j'ai les os d'une femme de 80 ans, j'ai de l’ostéoporose, je n'ai quasiment aucune dent qui est moi dans ma bouche, j'ai une déviation de la cloison nasale et un tassement de vertèbre", énumère-t-elle.
- Nuage de Tchernobyl -
Pour s'attaquer à cet angle mort, elle multiplie depuis plusieurs années les initiatives. En 2017, elle monte une commission "santé de l’enfant" au sein du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE).
En 2021, elle est à l'initiative d'équipes mobiles à l'hôpital chargées de repérer les enfants victimes de maltraitance. Elle fonde l'association Im'pactes avec un objectif : que soient enfin pris en charge les enfants et les adolescents passés par l'ASE sur le plan de la santé et de l'éducation.
Adepte du franc-parler, elle ne mâche pas ses mots contre le manque d'accompagnement des jeunes à leur sortie de l'ASE - "comme si, comme le nuage de Tchernobyl, ça s'arrêtait à la frontière des 18 ans", ironise-t-elle - et ne décolère pas contre l'absence d'un ministère chargé spécifiquement de l'Enfance.
"Les enfants ne votant pas, ils n'intéressent pas tellement".
N.Tartaglione--PV