Pallade Veneta - Polyester ou coton recyclés: ce que cachent nos étiquettes

Polyester ou coton recyclés: ce que cachent nos étiquettes


Polyester ou coton recyclés: ce que cachent nos étiquettes
Polyester ou coton recyclés: ce que cachent nos étiquettes / Photo: Daniel LEAL - AFP/Archives

Prenons une fashionista sensible à l'environnement. Quand elle achète une jupe ou un pantalon, c'est du coton ou du polyester recyclés, et quand c'est usé, elle les jette dans une benne à déchets textiles, certaine qu'ils seront à nouveau recyclés.

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Persuadée de faire un geste écolo, cette cliente ne le sait sans doute pas mais elle a tout faux.

Car, à 93%, les matières recyclées de nos vêtements proviennent "de bouteilles en plastique, pas de vieux habits", explique à Bruxelles Urska Trunk, directrice de campagne de l'ONG Changing Markets. Du pétrole donc.

Dans les magasins, les étiquettes "matière recyclée" fleurissent mais en réalité, la technologie coûteuse qui permet de recycler un fil en fil reste embryonnaire au niveau mondial.

"Moins de 1% des tissus qui composent nos vêtements sont recyclés pour en faire de nouveaux", a indiqué la Commission européenne à l'AFP.

En Europe, l'ensemble des déchets textiles représente 12,6 millions de tonnes par an (dont 5,2 millions de vêtements et chaussures, le reste étant composé de matelas, tapis et autres mobiliers textiles), selon la Commission.

La plupart des déchets textiles usagés sont jetés ou incinérés, seuls 22% sont collectés pour être réutilisés ou recyclés - essentiellement en chiffons, rembourrages ou isolants.

Le recyclage des vêtements est "beaucoup plus complexe que celui du verre ou du papier", explique à l'AFP le fabricant autrichien de fibres textiles issues du bois Lenzing.

Les vêtements usagés doivent être triés par matière et par couleur, puis débarrassés de leurs "points durs" (zips, boutons...). Il faut enfin écarter ce qui n'est pas recyclable comme certaines fibres ou tissus composés de plus de deux matières.

Or ce type d'opérations n'a pas encore passé le stade industriel.

Cette technologie "en est à ses balbutiements", dit Urska Trunk.

- Bouteilles en plastique -

La parade pour tamponner ses habits "bons pour la planète", c'est le recyclage en fibres polyester de bouteilles fabriquées avec du PET (polytéréphtalate d'éthylène).

La technologie, bien maitrisée, est la seule véritablement exploitée à grande échelle.

Dans cet immense H&M du centre de Paris, de plus en plus de vêtements arborent une étiquette vert d'eau "matière recyclée".

En 2023, 79% du polyester utilisé dans les collections provenait de matières recyclées. Le groupe ambitionne les 100% en 2025.

Les clients interrogés par l'AFP y semblent indifférents mais la marque suédoise de fast-fashion revendique un effort.

Le PET recyclé "(permet) à l'industrie de réduire sa dépendance au polyester vierge issu de combustibles fossiles à court terme", a indiqué le groupe à l'AFP.

Comment font les marques ? Elles récupèrent auprès des industriels les "paillettes" de plastique issues du recyclage mécanique des bouteilles puis fabriquent la fibre dans leurs propres usines, explique à l'AFP Lauriane Veillard, chargée de politique sur le recyclage chimique à Zero Waste Europe (ZWE) à Bruxelles.

- "Pas circulaire" -

"Soyons clairs, il ne s'agit pas de circularité": les industriels de l'embouteillage et associations de défense de l'environnement ont pourtant mis en garde.

Dans une lettre ouverte au Parlement européen, ils ont dénoncé en mars 2023 "une tendance inquiétante" du secteur de la mode "à faire des déclarations écologiques liées à l'utilisation de matériaux recyclés" provenant de leurs bouteilles.

Car "si ces bouteilles n'avaient pas été utilisées pour fabriquer du polyester, elles auraient en fait permis de fabriquer… d'autres bouteilles en plastique", rappelait en mars dernier une étude de la marque française dite éthique Loom.

Or, si une bouteille en PET peut être recyclée cinq ou six fois en une autre bouteille, un T-shirt ou une jupe en polyester recyclé "ne pourront jamais être recyclés de nouveau", rappelle Mme Trunk, partie prenante des discussions autour de la directive-cadre sur les déchets de l'UE.

Le polyester recyclé est souvent refabriqué avec des composants chimiques et de l'élasthanne, prisé pour son élasticité mais qui empêche tout recyclage.

Sans compter l'"énergie et les matériaux" nécessaires pour transporter, trier, laver, broyer, fondre etc... jusqu'au filament, rappelle Loom.

"De la fabrication jusqu'au recyclage, c'est : pollution de l'eau, pollution de l'air, pollution des sols, bref, le polyester même recyclé n'est pas une solution miracle", dit Jean-Baptiste Sultan, consultant chez Carbone 4.

Les ONG exigent que l'industrie textile cesse d'utiliser cette matière qui en 2021 représentait 54% de la production de fibres, selon Textile Exchange.

Le recyclage du coton n'est pas non plus la bonne option: la fibre transformée est de moins bonne qualité et pour tenir, elle devra souvent être tissée avec d'autres matières devenant elles aussi difficilement recyclables.

- Bilan carbone -

Que deviennent alors la jupe et le pantalon usagés de notre fashionista ?

En 2019, 46% des déchets textiles de l'UE ont fini en Afrique sur des marchés de seconde main ou plus souvent "dans des décharges à ciel ouvert", admet l'Agence européenne pour l'environnement (AEE).

La pratique est largement dénoncée par les organisations de défense de l'environnement, comme au Ghana.

"Un règlement sur les expéditions de déchets" adopté en novembre vise désormais "à garantir, entre autres, que les exportations de déchets de l'UE sont destinées au recyclage et non à l'élimination", a indiqué à l'AFP la Commission européenne.

Toujours en 2019, 41% des déchets textiles européens sont partis vers l'Asie dans des "zones économiques dédiées où ils sont triés et traités", pour grande partie au Pakistan, poursuit l'AEE.

Selon les ONG interrogées par l'AFP, de véritables "hubs" du tri et du recyclage textile se développent dans ce pays d'Asie du Sud ainsi qu'au Bangladesh, souvent dans des "Zones franches d'exportation " (Export Processing Zone).

Les déchets semblent "être recyclés localement, principalement transformés en chiffons industriels ou en rembourrages, ou bien réexportés, soit pour le recyclage dans d'autres pays asiatiques, soit pour une réutilisation en Afrique", conclut une étude de février 2023 de l'AEE.

Mais l'Agence reconnait "un manque de données concordantes sur les quantités et le destin des textiles usagés" en Europe.

Selon Paul Roeland de l'ONG Clean Clothes Campaign, les EPZ sont surtout "connues pour être des enclaves +sans loi+, où même les normes de travail peu élevées du Pakistan et de l'Inde ne sont pas respectées".

De telles opérations d'import-export ont également un impact environnemental.

"L'envoi des vêtements vers des pays à faible coût de main-d'œuvre pour un tri manuel est une horreur en termes de bilan carbone", souligne Marc Minassian, directeur commercial France chez Pellenc ST, à la pointe du tri optique pour le recyclage.

- "Mythe" -

En l'état, le recyclage textile est "un mythe", affirme Lisa Panhuber de Greenpeace.

Faut-il se tourner vers les nouvelles fibres végétales ?

Fibres de bananiers, écorces d'agrumes, feuilles de cactus, pelures de pommes… tout est récupéré pour faire du textile.

Hugo Boss par exemple utilise le Pinatex, fabriqué à base de feuilles d'ananas, pour certaines de ses baskets.

"Sous-produit de l'agriculture actuelle, les feuilles d'ananas sont utilisées pour créer ce textile unique : elles ne demandent aucune ressource supplémentaire pour pousser", vante sur son site la marque allemande.

Mais des experts, comme Thomas Ebélé du label SloWeAre, s'interrogent sur le mode de fabrication de ces fibres, agglomérées et non tissées, auxquelles doivent être adjoint un agglomérant, "dans la majorité du cas, du polyuréthane" ou du PLA (acide polylactique), détaille-t-il.

Cette composition non standardisée rend le vêtement en fin de vie "parfois biodégradable" mais pas recyclable, selon lui.

Et d'insister : "Biodégradable ne veut pas dire compostable ! Ça veut dire que ces fibres peuvent se dégrader dans des conditions industrielles, soit avec une pression supérieure à trois atmosphères, une hygrométrie supérieure à 90%, une température entre 50 et 70 degrés et avec un brassage mécanique".

Au-delà de tous ces procédés, "c'est surtout le volume des vêtements produits qui est problématique", dénonce Céleste Grillet du pôle énergie chez Carbone 4.

Pour Lisa Panhuber, la solution est définitivement "de réduire notre consommation, réparer, réutiliser".

E.M.Filippelli--PV