Face aux émissaires occidentaux, les nouveaux dirigeants syriens veulent rassurer
Plusieurs missions étrangères ont rencontré mardi à Damas les nouvelles autorités syriennes, dominées par des islamistes radicaux, qui s'efforcent de rassurer sur leur capacité à pacifier la Syrie, morcelée et dévastée par 13 ans de guerre civile.
La France, dont le drapeau flotte désormais sur l'ambassade fermée en 2012, l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'ONU ont envoyé des émissaires afin de nouer des contacts avec les autorités de transition, dont les premiers pas au pouvoir sont observés avec prudence.
Face au défi d'unifier le pays et aux attentes des capitales étrangères, le nouvel homme fort de la Syrie, Abou Mohammad al-Jolani, s'est engagé à dissoudre et à intégrer dans l'armée les factions qui ont contribué à la chute de l'ex-président Bachar al-Assad, renversé le 8 décembre au terme d'une offensive éclair menée par les rebelles depuis le nord de la Syrie.
Le drapeau français a été hissé mardi à l'ambassade de France à Damas, à l'arrivée d'une mission diplomatique envoyée par Paris pour la première fois depuis 12 ans.
"La France se prépare à être aux côtés des Syriens" durant la période de transition, a déclaré l'émissaire français Jean-François Guillaume.
L'Union européenne s'est dite "prête" à rouvrir son ambassade et les Etats-Unis ont eux aussi établi des contacts avec HTS.
La chute de Bachar al-Assad a été accueillie par des scènes de liesse, près de 14 ans après le début de la guerre civile déclenchée en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, qui a fait un demi-million de morts et provoqué la fuite à l'étranger de six millions de personnes.
Mais unifier le pays, où sont présentes de nombreuses factions et minorités religieuses ou ethniques, reste un défi pour HTS. Cette ex-branche syrienne d'Al-Qaïda affirme avoir rompu avec le jihadisme mais reste classée comme une organisation terroriste par plusieurs capitales occidentales, dont Washington.
Bien que méfiants, les Occidentaux cherchent à établir des liens avec le nouveau pouvoir, conscients du risque de fragmentation du pays et de résurgence du groupe jihadiste Etat islamique, qui n'a jamais été totalement éradiqué de Syrie.
L'UE doit "intensifier" sa relation avec HTS, a affirmé mardi en Turquie la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. "Nous ne pouvons pas permettre" une "résurgence" de l'EI en Syrie, a-t-elle déclaré.
La France a également souligné que ses émissaires à Damas avaient demandé à leurs interlocuteurs de "poursuivre la lutte contre Daech et les autres groupes terroristes".
- "Espoir prudent" -
Dans les vieux souks de Damas, la grande majorité des commerces ont rouvert.
Mardi, des commerçants peignaient en blanc la façade de leur magasin, effaçant les couleurs de l'ancien drapeau syrien aux deux étoiles.
"Nous travaillons sans arrêt depuis une semaine pour tout peindre en blanc, mais nous n'avons pas assez d'ouvriers pour faire tous les magasins", a affirmé Omar Bachour, 61 ans, artisan dans le bâtiment.
Si quelques matériaux ont vu leur prix augmenter, la plupart des prix des produits de première nécessité ont baissé avec la levée temporaire de taxes.
"Tout est arrivé d'un seul coup: la chute du régime, la baisse des prix, l'amélioration de la vie. On espère que ce ne soit pas temporaire", affirme Abou Imad, qui a transformé sa voiture en petite épicerie où il vend des légumes sur une place de la capitale.
L'ONU estime que sept Syriens sur dix ont à présent besoin de l'aide internationale et prévoit le retour d'ici à juin 2025 d'un million de réfugiés.
L'ONU pense pouvoir fournir une aide "ambitieuse" à la Syrie, a déclaré mardi le chef du Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha), après une rencontre avec Abou Mohammad al-Jolani.
"Moment d'espoir prudent en Syrie", a déclaré Tom Fletcher sur X, en qualifiant "d'encourageants" ses entretiens à Damas.
- "Rebâtir mieux qu'avant" -
Alors que Bachar al-Assad se posait en protecteur des minorités dans un pays à majorité sunnite, plusieurs pays et organisations, tout en saluant sa chute, disent attendre de voir comment les nouvelles autorités vont traiter les minorités.
"La Syrie doit rester unie, et il faut qu'il y ait un contrat social entre l'Etat et l'ensemble des confessions pour garantir une justice sociale", a assuré Ahmad al-Chareh en rencontrant lundi des membres de la communauté druze, branche de l'islam chiite, estimée à environ 3% de la population d'avant-guerre.
Devant une délégation de diplomates britanniques, le chef de HTS a "souligné la nécessité de lever toutes les sanctions imposées à la Syrie afin de permettre le retour des réfugiés".
Certains ont commencé à rentrer dans leurs villes en ruines, comme à Maaret al-Noomane, dans l'ouest, où les combats qui ont éclaté dès 2012 n'ont laissé que des murs écroulés et des rues défoncées.
"Nous sommes là pour protéger les gens et leurs biens", affirme le policier Jihad Shahin, 50 ans. "On va rebâtir mieux qu'avant", promet-il.
Mais Kifah Jaafer, responsable local de la "Direction des Zones libérées", demande du temps. "Il n'y a pas d'école, aucun des services de base (...) Il va falloir des efforts et beaucoup d'aide, la ville manque de tout".
Le long de la route menant de Damas à la ville portuaire de Lattaquié, le fief du clan Assad, un journaliste de l'AFP a vu des dizaines de véhicules militaires et lance-roquettes abandonnés, encore chargés pour certains. A Lattaquié, les drapeaux à trois étoiles de l'indépendance syrienne adoptés par les nouvelles autorités sont hissés, avec le slogan "la Syrie pour tous".
H.Ercolani--PV