Dans la Russie conservatrice de Poutine, des enseignants écartés pour "immoralité"
Olga Chégoléva, une professeure de biologie, avait pris ses fonctions dans une prestigieuse école de Saint-Pétersbourg depuis quelques mois à peine lorsque les pressions pour qu'elle démissionne ont commencé.
Son tort? Tenir un blog consacré à l'éducation sexuelle dans lequel elle aborde des sujets comme la santé liée à la sexualité et les sextoys.
Même si le contenu du blog s'adressait à un public adulte et non pas à ses élèves, des parents inquiets se sont plaints à la direction de l'école. Mme Chégoléva dit qu'elle n'a eu d'autre choix que de quitter le travail qu'elle aimait tant.
Le cas de cette jeune femme de 31 ans est loin d'être isolé. Comme elle, des centaines d'enseignants ont récemment été limogés ou poussés à la démission sur la base d'accusations de comportement "immoral", une tendance qui illustre l'intolérance croissante dans la Russie au conservatisme décomplexé de Vladimir Poutine.
M. Poutine, qui est allié à la puissante Eglise orthodoxe, se présente en effet comme le défenseur des valeurs traditionnelles face à l'Occident dépeint comme décadent.
Le ministère de l'Education n'a pas répondu aux questions de l'AFP. Mais le dirigeant d'un syndicat d'enseignants, Iouri Varlamov, indique qu'au cours des cinq dernières années, les tribunaux ont rendu plus de 2.000 décisions dans des affaires de "comportement immoral", impliquant principalement des éducateurs.
"Le limogeage d'enseignants pour +comportement immoral+ est de plus en plus utilisé par les employeurs contre des employés jugés indésirables", dit-il à l'AFP.
- Sexualité ou politique -
Parmi les cas les plus retentissants, en 2018, à Omsk, en Sibérie, une enseignante travaillant également comme mannequin grande taille été poussée à la démission pour des photos jugées inappropriées.
Toujours en Sibérie, l'an dernier, à Novossibirsk, une professeure a été poussée vers la sortie après avoir mis en ligne une vidéo dans laquelle elle dansait en petite tenue.
Des militants affirment que plusieurs dizaines d'enseignants ont par ailleurs été virés pour leur orientation sexuelle et d'autres pour avoir exprimé leur soutien à l'opposition politique.
Avec son tatouage au bras et sa mèche rebelle, Nikita Touchkanov, un professeur d'histoire à Mikoun, petite ville du nord-ouest de la Russie célèbre pour ses goulags à l'époque soviétique, a toujours eu le don d'agacer ses collègues plus âgés.
Circonstances aggravantes, il n'a jamais caché sa désapprobation de la promotion décomplexée de l'éducation religieuse orthodoxe à l'école, ni son soutien au principal opposant de M. Poutine, Alexeï Navalny, emprisonné depuis l'an dernier.
Lorsque des partisans de M. Navalny ont manifesté en janvier 2021 à travers la Russie contre son arrestation, l'enseignant de 27 ans a décidé de protester lui aussi à Mikoun, même s'il était tout seul, brandissant une pancarte proclamant: "Gardez le silence ou mourez".
"C'était la goutte de trop", dit-il à l'AFP. Deux mois plus tard, il était limogé. Ses recours en justice n'ont rien donné et, depuis, il n'a retrouvé de travail dans aucune école.
Il affirme que la directrice d'un établissement où il avait postulé a reçu un coup de téléphone d'un procureur: "On lui a dit que si elle m'engageait, elle aurait des problèmes".
- Société figée -
Daniil Ken, qui dirige un syndicat d'enseignants lié à l'organisation de Navalny, indique que les pressions sur les enseignants jugés trop libéraux ou soutenant l'opposition vont croissant.
Et l'un des moyens les plus simples de se débarrasser de ces enseignants, qui bénéficient globalement d'une protection légale solide, est d'invoquer un "comportement immoral", explique-t-il.
M. Ken pense que les autorités craignent les enseignants critiques qui appellent à changer la société. "Cela peut menacer la tranquillité des gens au pouvoir, du petit bureaucrate de province au président Poutine", dit-il.
Mme Chégoléva, la professeure de biologie limogée pour son blog sur la sexualité, travaille désormais pour une ONG. Elle trouve que la société est aujourd'hui figée.
"On a l'impression qu'il n'est plus possible de progresser, d'avancer, d'être plus moderne, plus loyal, plus compréhensif et plus tolérant", regrette-t-elle.
M.Romero--PV