Pallade Veneta - Désert médical: à Mulhouse, 5.000 patients orphelins de leurs généralistes

Désert médical: à Mulhouse, 5.000 patients orphelins de leurs généralistes


Désert médical: à Mulhouse, 5.000 patients orphelins de leurs généralistes
Désert médical: à Mulhouse, 5.000 patients orphelins de leurs généralistes / Photo: SEBASTIEN BOZON - AFP

"Ça fait peur, qu'est-ce qu'on va devenir s'il n'y a plus de médecins?": à Mulhouse, le départ en retraite des trois généralistes de la maison de santé du quartier populaire de Bourtzwiller laisse quelque 5.000 patients sans suivi médical.

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Il y a quelques semaines, la salle d'attente lumineuse de cette maison de santé moderne et fonctionnelle pouvait accueillir une trentaine de patients en même temps.

Mais en ce vendredi matin, elle est vide, et il n'y a de toute façon plus de chaises pour s'installer : depuis le 1er juillet, les trois généralistes qui y exerçaient depuis 2018 sont partis à la retraite. Aucun médecin n'a pris la relève, seules des infirmières et des kinésithérapeutes y exercent. Au total, une vingtaine de professionnels.

Lancées il y a plusieurs années pour trouver des successeurs, les recherches ont été intenses, mais vaines : "On n'a jamais réussi à trouver des collaborateurs", soupire Isabelle Willemain, 63 ans, qui a exercé "pendant 36 ans" à Bourtzwiller.

- "Infernal" -

Les raisons en sont multiples. Parmi elles, le fait que Mulhouse ne soit pas une ville universitaire ou encore le manque d'attractivité de ce quartier pauvre, où vivent environ 15.000 personnes, avance Mehdi Kacem, jeune généraliste de 34 ans qui a choisi de s'installer dans une autre partie de l'agglomération.

Pour équiper son futur cabinet, le trentenaire est justement venu chercher du matériel médical racheté à ses confrères désormais retraités.

A ses yeux, l'approche du métier des jeunes médecins est aussi un élément explicatif : "on va privilégier la vie de famille", explique ce fils de médecin, qui dit avoir vu son père "se faire absorber complètement par l'hôpital".

Dans ce qui fut son cabinet ces cinq dernières années, le Dr Willemain rembobine l'histoire de la maison dans laquelle elle a exercé avec son époux et une troisième médecin.

Elle visait à réduire les inégalités d'accès aux soins et à offrir une couverture médicale de proximité. Mais "on a très vite été dépassés par le travail, pourtant d'une "grande variété" et "très intéressant", confie-t-elle. "A la fin, on avait 5.000 patients (...) les deux derniers mois, on rentrait à minuit tous les soirs en commençant à 08H00. C'était infernal".

Depuis, leurs patients se sont reportés vers SOS Médecins, les urgences ou les centres de soins non programmés, autant d'établissements qui ne sauraient remplacer le suivi régulier d'un médecin traitant, souligne le Dr Frédéric Tryniszewski, président de SOS Médecins Mulhouse.

Désormais seules en première ligne, les infirmières tentent de faire face comme elles le peuvent : "pour l'instant, on tient", soupire Céline Bohrer, 43 ans.

Elles gèrent les patients qui arrivent "sans ordonnance pour des soins infirmiers" et qu'on est "obligé de réorienter vers l'hôpital" de Mulhouse, pourtant "déjà tendu".

Et "avant de partir", les trois généralistes ont "fait des prescriptions sur 12 mois" pour les patients souffrant de pathologies chroniques, explique Isabelle Willemain. Histoire d'assurer la continuité dans l'attente d'une solution.

- "Peur" -

Elle pourrait voir des internes, chapeautés par des médecins en retraite, dispenser des soins, un projet en réflexion avec l'Agence Régionale de Santé (ARS) et la Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) de Mulhouse.

"Ils pourraient prendre en charge une partie des patients, le temps pour eux de trouver un médecin traitant", explique le Dr Tryniszewski, qui préside la CPTS. Un projet qui ne devrait toutefois pas voir le jour avant novembre, voire le printemps prochain.

En attendant, dans sa petite demeure à un jet de pierre de la maison de santé, Jacqueline Schreiber s'inquiète : "ça fait peur, (...) qu'est-ce qu'on va devenir s'il n'y a plus de médecins?", s'interroge cette dame de 79 ans.

"Moi, je me débrouille encore toute seule mais il y a plein de personnes qui sont alitées, qui ne peuvent plus rien faire. Il leur faut absolument un médecin".

A.Saggese--PV