En Roumanie, le faisceau du laser le plus puissant au monde
"Prêts ? Signal envoyé !" : dans la salle de contrôle d'un centre de recherche en Roumanie, Antonia Toma, directrice de tir, actionne le laser le plus puissant au monde, aux promesses révolutionnaires, de la santé à l'espace.
Les chiffres donnent le vertige: le système est capable d'atteindre un pic de 10 pétawatts (10 puissance 15 watts) pendant un temps ultra-bref, de l'ordre de la femtoseconde (un millionième de milliardième de seconde).
Devant un mur d'écrans affichant des faisceaux lumineux, l'ingénieure de 29 ans vérifie une série d'indicateurs avant de lancer le compte à rebours.
La cadence de ces tirs effectués sur des cibles se trouvant dans des chambres d'expérimentation est actuellement très élevée - 30 à 40 tirs par jour.
Un travail "stressant mais aussi très gratifiant", au vu des équipes de chercheurs qui viennent du monde entier pour tester cet équipement unique, raconte-t-elle à l'AFP, à l'occasion d'une visite de presse organisée cette semaine sur ce site des environs de la capitale Bucarest.
- Bijou de technologie -
De l'autre côté de la vitre, de longues rangées de caissons rouges et noirs abritent deux chaînes laser.
A l'intérieur se niche une prouesse technologique: des cristaux de saphir de titane qui, excités sous l'effet d'une pompe optique, émettent le faisceau, des centaines de miroirs de toutes tailles, des réseaux de diffraction revêtus d'or...
Il a fallu "plusieurs dizaines de millions d'euros, 450 tonnes de matériel" et une minutieuse installation pour "parvenir à ce niveau exceptionnel de performance", détaille Franck Leibreich, responsable des activités laser pour le groupe français Thales opérant le système.
Doté d'une dalle anti-vibrations, le bâtiment, qui a nécessité un investissement de 320 millions d'euros principalement financé par l'UE, fait la fierté de la Roumanie. Même si la construction d'une unité de production de rayons gamma a connu des problèmes et ne sera achevée qu'en 2026.
- "Un pas énorme" -
En arpentant l'immense salle au sol blanc immaculé, Gérard Mourou, Prix Nobel 2018 de physique, se dit "très ému" devant cette "incroyable odyssée", des Etats-Unis où il a passé trente ans à la concrétisation en Europe de ce projet né dans les années 2000 au sein de l'Infrastructure européenne ELI (Extreme Light Infrastructure).
"On part d'une petite graine lumineuse avec très, très peu d'énergie, qui va être amplifiée des millions et des millions de fois", explique-t-il, l'air d'un gamin émerveillé malgré ses 79 ans et sa chevelure blanche devant le "pas énorme franchi" et les "phénoménales puissances" atteintes.
Cette technique appelée "Chirped Pulse Amplification" (CPA), il l'a mise au point avec la chercheuse canadienne Donna Strickland et co-lauréate du Nobel, alors son étudiante, au milieu des années 1980. Elle consiste à étirer l'impulsion laser, à l'amplifier puis à la comprimer.
Outre leur contribution à la physique du vide ou des trous noirs, les travaux des deux scientifiques ont permis d'opérer des millions de personnes souffrant de myopie ou de cataracte.
Et les dernières prouesses vont permettre d'aller beaucoup plus loin, assure le professeur Mourou, notamment dans le domaine médical. "On va utiliser ces impulsions ultra-intenses pour produire des accélérateurs à particules beaucoup plus compacts et moins chers" afin de détruire les cellules cancéreuses, souligne-t-il.
- Armée de "soldats" -
Autres applications possibles, traiter les déchets nucléaires en réduisant leur durée de radioactivité, ou encore "nettoyer l'espace" encombré par d'innombrables débris - "l'équivalent de quatre tours Eiffel, donc 28.000 tonnes".
Dans ce cas, "le laser pourrait être utilisé pour faire l'ablation de ces déchets et produire une espèce d'effet fusée capable de les désorbiter".
Le laser - dont les principes élémentaires avaient été décrits en 1916 par Einstein - s'est imposé dans notre vie quotidienne, des CD aux lecteurs des codes-barres des supermarchés, ou encore dans l'industrie où ces instruments de précision sont utilisés dans le soudage ou la découpe.
Il a une seule couleur (rouge, verte, bleue, etc.) alors que la lumière ordinaire dans laquelle nous baignons est composée de plusieurs couleurs. Toutes les ondes lumineuses vont dans la même direction et forment un faisceau étroit.
Les photons y sont identiques, "comme des soldats en ordre de marche, par contraste aux coureurs de marathons" composant la lumière produite par une lampe, décrit de manière imagée Gérard Mourou.
Il en est convaincu: après le triomphe de l'électron au 20e siècle, le 21e siècle sera celui du laser.
D'ailleurs, d'autres pays sont sur les rangs - la France, la Chine ou les Etats-Unis - pour fabriquer des lasers encore plus puissants.
L.Barone--PV